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moment dont je parle. Des systèmes ingénieux, des principes à l’essai, des dogmes improvisés, tenaient lieu de la boussole qui manquait, et ils égaraient plus souvent qu’ils ne guidaient une génération affolée qui marchait à tâtons au milieu des ruines. Il fallut du temps avant que l’ensemble de doctrines, le nouveau code social et religieux de l’Allemagne, ce nouvel édifice dont Kant a jeté les fondemens, que Goethe et Schiller ont élevé, fût debout. Une fois debout, il se montra solide et à l’épreuve du feu ; on le vit bien en 1813. Les hommes qui régénérèrent l’Allemagne et qui la délivrèrent s’étaient tous assis, à peu d’exceptions près, aux pieds du sage de Kœnigsberg ; ils avaient répété tout jeunes les vers enthousiastes de Schiller, et le credo humain et tolérant qui a mis la religion du cœur à la place de la religion du dogme, la morale de conscience à la place de la morale de Convention, est resté jusqu’à nos jours la profession de foi de l’immense majorité des Allemands.

Quant au mariage en particulier, la société allemande semble également rentrée dans la vérité et la justice. Elle est devenue plus rigoureuse pour la rupture de l’union conjugale ; elle n’a point renoncé au divorce. Elle ne l’aurait pu. La race germanique voit en effet dans le mariage moins une association qui a pour résultat l’affection qu’une affection dont la conséquence est une association. D’ailleurs, même au début de ce siècle, le divorce ne fut une chose admise que dans la noblesse et dans les ménages israélites. Là, le contraste entre les principes nouveaux et les mœurs traditionnelles devait l’amener forcément. Les parens mariaient leurs enfans « à la française, » comme on dit en Allemagne, c’est-à-dire en consultant la raison et les convenances sociales plus que les sympathies personnelles, et ils oubliaient de les prémunir contre les idées allemandes, qui n’admettent que le mariage d’inclination. Henriette Herz protesta vivement dans sa vieillesse contre le reproche d’immoralité que l’on faisait si souvent à l’époque où elle avait été jeune. Selon elle, les nombreuses séparations dont on parlait en ce temps ne prouvent nullement qu’on méconnût la sainteté du mariage :


« On n’admettait, dit-elle, comme vrai mariage, que celui où l’esprit et le cœur des deux époux trouvaient une satisfaction complète. Dès que ce lien moral n’existait plus, les rapports conjugaux étaient considérés comme profanant la sainteté du mariage, comme un concubinat. Conséquence nécessaire de cette manière de voir, la séparation d’un pareil lien purement extérieur était regardée comme un bienfait, bien plus, comme une nécessité pour les deux époux. Ce n’est que par la séparation d’une union désormais immorale qu’on pouvait donner satisfaction à l’idée conjugale qui avait été violée. »


Il n’y a qu’une observation à faire sur cette définition de l’idée