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peu partout, et il y a des momens, en vérité, ou l’on serait presque trop d’accord. M. le baron Jérôme David, un des chefs de l’ancienne droite, saisit l’occasion d’un débat sur l’Algérie pour proclamer qu’à ses yeux, en politique comme en toute autre chose, la liberté et le droit commun sont les meilleurs auxiliaires ; M. Jules Favre se déclare presque ministériel, et M. Gambetta lui-même vote pour le cabinet ! Nous revenons aux scrutins unanimes comme sous le gouvernement autoritaire, mais par d’autres motifs. À quoi tient ce rassérènement sensible qui s’est produit en quelques semaines ? Il n’y a évidemment qu’une raison, c’est que les garanties d’une liberté sérieuse ne sont plus disputées ou mesurées avec parcimonie ; elles sont offertes avec une sincérité manifeste et presque prodiguées. On se trouve en présence d’un pouvoir souverain qui jusqu’ici ne refuse rien et d’un ministère qui ne se fait faute de déclarations libérales, qui ne dit non à aucune proposition à demi raisonnable ; que faut-il de plus ? L’opinion subit instinctivement l’influence de cette révolution pacifique à laquelle on ne croyait pas, qui est cependant une réalité devant laquelle les défiances sont obligées de se taire. On sent bien quel changement profond s’est accompli, et on le sent avec d’autant plus de vivacité qu’il suffit de se replacer un peu en arrière pour mesurer le chemin qu’on a parcouru. Qui eût dit en effet, il y a un an, il y a huit mois, au moment où était voté le sénatus-consulte du 8 septembre 1869, qu’on touchait de si près à une résurrection complète des libertés publiques, et qui n’eût point accepté comme un bienfait cette possibilité d’une réforme décisive sans violence ? Les plus difficiles eussent même accepté moins — avec cette persuasion qu’en fait de liberté les petits progrès sont le commencement de la justice ; à plus forte raison acceptent-ils une victoire qui sera maintenant ce que le pays lui-même voudra la faire. C’est là justement le côté heureux, favorable de cette situation nouvelle, où tout est devenu possible par l’action naturelle de l’opinion, et où il est tout simple qu’une pacification relative des esprits réponde à une politique dont la sincérité ne recule devant aucun aveu ou devant aucun désaveu du passé.

Oui, sans doute, la situation actuelle a cela de bon que les préventions, les incrédulités, les ressentimens, les ombrages, sont plus qu’à demi vaincus, qu’on finit par se rendre à l’évidence, par croire sans trop marchander à la force de ce progrès régulier, de cette transformation pacifique. C’est déjà beaucoup, puisque cela simplifie singulièrement les conditions de la vie publique. Qu’on se garde bien pourtant de s’y méprendre : il ne suffit pas d’un échange de complimens dans une assemblée, de déclarations multipliées, ou de ces baisers Lamourette des votes unanimes, et c’est ici que notre situation, dépouillée de ses couleurs séduisantes, reparaît dans ce qu’elle a de laborieux et de difficile. C’est précisément parce que tout est possible maintenant, qu’on est tenu à plus de sévérité dans ce travail de réformes qui s’impose souveraine-