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aujourd’hui le personnage de l’abbesse, créé jadis par Taglioni. Svelte et distinguée de sa personne, juste et correcte dans son geste, harmonieuse dans ses poses, elle s’enlève avec l’aisance aérienne d’une Emma Livry et mesure en deux bonds l’étendue de la scène sans que son pied, retombant sur le sol, y mène plus de bruit qu’un flocon d’ouate ou de neige. Du reste, jamais encore le romantisme de ce bel intermède ne fut si pittoresquement rendu. A voir toutes ces vierges folles sortir en silence du tombeau, défiler processionnellement devant leur ancienne supérieure, puis, sur un signe d’elle, jeter bas voiles et linceuls, et les cheveux épars, demi-nues, tourbillonner en essaim au clair de lune, on rêve aux Fantômes de Victor Hugo. C’est la poésie des Odes et Ballades mise en action, et avec quelle musique !

Ainsi restauré au théâtre, Robert le Diable a repris son immense attraction sur le public. En dépit de ses défaillances, l’œuvre reste vivante et continue à se tenir puissamment debout. Venue au monde incomplète, elle est ce qu’elle fut ; on ne peut donc dire qu’elle ait vieilli, et les gens qui lui reprochent ses ritournelles à l’italienne et son style composite s’amusent à nous donner là des découvertes que nos pères ont faites il y a quarante ans. Le cinquième acte suffirait seul à la gloire d’un maître. Quelles proportions, quelle atmosphère ! . C’est là que le talent doit venir écouter la leçon du génie, et que les joueurs de serinette apprendront comment on manie l’orgue du sanctuaire. L’exécution peu à peu regagnera son niveau ; il est difficile qu’à l’Opéra l’ensemble soit longtemps à se rétablir. Lorsqu’on reprit naguère les Huguenots, la première soirée fut désastreuse ; huit jours après, les choses marchaient bien : il en sera de même pour Robert. D’ailleurs on a pourvu d’avance à toute éventualité : s’il arrive que M. Colin soit forcé de quitter la place, un autre lui succédera ; M. David travaille et sait le rôle de Bertram, et Mlle Mauduit se tient prête à reparaître dans Alice, qui fut l’honneur de ses débuts. Les œuvres de répertoire ont cela de particulier, qu’elles offrent à l’esprit de continuels sujets de comparaison. Chacun à son tour y passe, y montre sa figure et son talent, et il ne sera point sans intérêt, même pour ceux qui ont applaudi au gracieux, type de fantaisie essayé par Mlle Nilsson, de voir revivre la conception du maître dans son idéal traditionnel et sous les traits d’une jeune artiste en qui se perpétue l’école des Falcon et des Dorus.

On se perd en conjectures sur les causes qui ont pu déterminer l’administration du Théâtre-Italien à fouiller le campo santo de l’ancienne Académie royale de musique pour en exhumer les momies de Guido et de Ginevra. L’intérêt musical n’était point ici à mettre en avant comme lorsqu’il s’est agi de Fidelio, encore moins la question de recette, et jamais nous ne consentirons, à prendre au sérieux cette histoire d’un décor d’occasion déposé là par la débâcle du Théâtre-Lyrique, et dont on voulait absolument tirer profit. Quoi qu’il en soit,