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prompts résultats, tant de satisfactions inespérées, qu’il semblait défier les obstacles, marchant à pleines voiles comme le navire le mieux lesté, le mieux équilibré. L’union étroite du duc de Broglie, de M. Thiers et de M. Guizot avait fait ce prodige, chacun le comprenait, et, par un instinct prophétique des difficultés de l’avenir, chacun ne demandait, pour être en sécurité sur les futures destinées de la monarchie nouvelle, que le maintien durable de cette union. Par malheur, ce que les amis voyaient si bien n’était pas moins visible aux adversaires, et autant sur nos bancs on prenait de souci à conserver intacte cette sorte de palladium, autant sur d’autres on se donnait de soins à nous l’enlever. Que d’habiles efforts, que de savantes manœuvres pour allumer la jalousie, pour semer la division dans l’intérieur de ce triumvirat, qui, venu en son temps comme M. Perier était venu au sien, réalisait si bien la théorie parlementaire, laissant à la couronne une suffisante indépendance, et la couvrant en même temps de la responsabilité la plus réelle et la plus sérieuse ! Je le dis à l’honneur des trois chefs de ce cabinet, ils s’étaient tous les trois gardés de ces embûches, et auraient évité longtemps encore peut-être le divorce où on les poussait, si, comme il arrive toujours, un incident, un fait sans relation apparente avec la politique du moment, un legs de l’empereur Napoléon Ier et de ses décrets attentatoires au droit des neutres, un vieux procès diplomatique, ajourné depuis un quart de siècle et sorti des cartons des affaires étrangères sous forme de traité, ne fût venu dissoudre en un clin d’œil, sans que personne en eût soupçon, une alliance qui, en se prolongeant, pouvait affermir tant de choses et changer tant de destinées. Ni le puissant orateur qui porta le coup mortel à cette transaction aussi équitable au fond que politiquement opportune, ni ceux de ses adversaires habituels que fascinèrent ce jour-là ses chiffres, sa parole, sa mise en scène incomparable, ne soupçonnaient que le traité courût un sérieux péril. Si l’adoption en eût semblé douteuse, j’ose dire que l’article premier, c’est-à-dire le traité lui-même, n’eût jamais été rejeté, faute seulement de huit voix. On ne vit clair qu’après le vote, lorsque le duc de Broglie ne voulut à aucun prix garder son portefeuille. Ministre des affaires étrangères, il se tenait pour engagé personnellement au succès de la loi, c’était sa signature qui venait d’être protestée, tandis que ses collègues, surtout devant l’émeute qui recommençait à gronder à Paris et qui allait éclater à Lyon, avaient d’autres devoirs. Ils pouvaient dignement ne pas quitter leur poste, et en effet ils y restèrent; mais l’œuvre du 11 octobre n’en fut pas moins à jamais ébranlée, et la monarchie de juillet, par contre-coup, profondément atteinte. Cette brèche était de celles qui vont s’élargissant. En attendant, il fallait la fermer, et de tous les côtés, dans toutes les