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nécessité de s’ouvrir cette voie, il était convaincu que c’était le meilleur moyen de ne rien compromettre, de se donner du temps, de calmer les impatiences, de redresser les idées fausses, et de couper court aux espérances exagérées en mettant les théories aux prises avec les faits, en leur imposant une sorte de quarantaine d’où les plus saines et les plus applicables avaient seules chance de sortir. La distance était grande, comme on voit, entre ce procédé légal de recherches et d’informations, cette mise en demeure de tous les intérêts, cet appel à la vérité, à la lumière, à la justice,, et la façon sommaire, brutale et souterraine dont ces mêmes problèmes, il y a maintenant dix ans, ont été brusquement tranchés. Le meilleur, le plus vrai des systèmes s’affaiblit et se déconsidère à triompher ainsi, sans profit pour personne, de ce côté du moins de la frontière, et à la ruine de beaucoup.

Mais si sage et mieux avisé que fût le projet d’enquête, ce n’en était pas moins, en 1834, une nouveauté presque effrayante pour bon nombre de gens, et, quand le bruit s’en répandit, bien des visages s’assombrirent. Le promoteur de la mesure s’en était dès l’abord expliqué franchement en conseil. Le roi, qui n’était pas toujours exempt de préventions sur certains procédés du régime parlementaire, tout décidé qu’il fût à ne jamais enfreindre ses devoirs constitutionnels, avait heureusement le goût des faits, aimait la statistique, et par voie de conséquence une enquête ne lui déplaisait pas. Quant aux ministre, ceux qu’on aurait pu croire les plus récalcitrans à cette tentative usèrent de bonne grâce, et laissèrent carte blanche à leur nouveau collège, n’approuvant pas, s’opposant encre moins, se fiant à son discernement et à sa discrétion.

Il se mit donc à l’œuvre, et dès le 2 juin, comme entrée en matière, comme préface à ses projets, il faisait rendre une ordonnance qui modifiait certains tarifs et levait quelques prohibitions. Ce n’était qu’une escarmouche sans grave conséquence ; personne, ni aucun intérêt n’en pouvait être froissé. On y sentait une tendance et un esprit nouveaux, mais pas d’autre intention que de mettre au rebut dans le vieil arsenal de la douane quelques armes rouillées, tarifs depuis vingt ans hors d’usage, rigueurs sans nécessité, ne servant qu’à grossir les primes de la contrebande. L’ordonnance, il est vrai, faisait pressentir des changemens d’un autre ordre en les subordonnant à une étude préalable de faits encore douteux et de renseignemens contestés. C’était, à mots couverts, parler du projet d’enquête. Déjà même cette nécessité de documens certains, de pièces de conviction, le jeune ministre l’avait portée devant la chambre quelques semaines auparavant, dans la discussion du budget de son département, et la chambre avait si bien compris et partagé son