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différends devant elle pour qu’elle les conciliât ou les jugeât. Les lois sont faites pour les petits, les grands les ignorent. La diète ne pouvait se flatter que son verdict fût respecté ; à peine entendait-on sa voix dans cet orageux tumulte ; il n’y avait pas d’apparence que des ambitions si échauffées et de si longues épées s’inclinassent devant sa toque et sa simarre.

Deux sentimens dominaient dans les états allemands du midi : on craignait l’Autriche et on n’aimait pas la Prusse. On craignait l’Autriche parce qu’on était accoutumé à la craindre, parce qu’avec toute l’Europe on la croyait plus préparée qu’elle ne l’était, parce qu’enfin la puissance qui possède la Bohême et le Tyrol commande l’Allemagne du midi, la tient dans une sorte de dépendance géographique. On n’aimait pas la Prusse, et il est à peine besoin d’en rappeler les raisons. Le cabinet de Berlin avait pris à tâche de s’aliéner et les peuples et les gouvernemens. Depuis des années, on voyait M. de Bismarck aux prises avec sa chambre et le règne des lois remplacé par les ukases. Le vernis constitutionnel dont s’était revêtue quelque temps la royauté prussienne était tombé écaille par écaille ; on apercevait à découvert une monarchie militaire et de droit divin, qui ne croyait qu’à sa mission et à son épée. Comme la liberté, l’Allemagne avait de cuisans griefs contre Berlin. La question des duchés avait été résolue sans elle et contre elle. Droits légitimes, vœux des populations, la Prusse faisait bon marché de ces niaiseries ; elle déclarait dans les termes les moins ambigus qu’elle avait fait la guerre au Danemark pour s’agrandir, et, comme si elle avait eu des rancunes à satisfaire, en notifiant ses intentions à ses confédérés, elle s’était plu à leur prodiguer les hauteurs. Les plus candides adeptes du Nationalverein savaient désormais l’usage qu’elle ferait de la victoire, si là fortune favorisait ses armes[1].

Les états secondaires n’écoutèrent pas seulement leurs ressentimens, leurs craintes où leurs aversions ; leur conduite fut conforme au seul principe qui pût déterminer leur choix dans des circonstances si embarrassantes. Ce principe fut exposé très nettement par le plus important de ces états, la Bavière, dans une dépêche, qu’elle adressa, le 8 mars, à la Saxe, au Wurtemberg, à Baden, à Hesse-Darmstadt et à Nassau. M. de Pfordten y déclarait que si l’Autriche et la Prusse, s’obstinant à récuser l’autorité de la confédération, entendaient vider leur querelle en tête à tête, le devoir de l’Allemagne était de rester neutre, que si au contraire l’une des parties invoquait l’arbitrage de la diète, celle-ci devait s’empresser

  1. Cette histoire a été retracée de main de maître par M. Julian Klaczko dans les remarquables articles intitulés les Préliminaires de Sadowa. Voyez les livraisons da la Revue du 1er septembre et du 1er octobre 1868.