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d’abord distinctes et séparées, ont la ferme intention de ne pas se confondre. Les uns reprochent au cabinet de n’être pas assez fort, de trop peu gouverner, les autres de gouverner trop. Il semble que jamais, partant de ces points extrêmes, on ne pourra s’entendre dans un effort commun : il n’en est rien. L’union s’établit sans qu’on sache comment. À force de viser ensemble au même but, les assaillans perdent de vue les différences qui les séparent : ils évitent de s’y heurter ; ils ont entre eux des ménagemens, des égards instinctifs qui achèvent de tout confondre, et peu à peu se forme un pêle-mêle où les plus clairvoyans, les plus fermes, les plus honnêtes, sont comme emportés malgré eux.

Quand on a traversé cette crise, et qu’après trente années on sent encore les combats intérieurs qu’on s’est livrés, les scrupules qu’on a dû vaincre pour s’exposer jusqu’au bout aux hasards de cette association, par point d’honneur, par attachement à ce drapeau du 11 octobre qu’on s’obstinait à vouloir redresser, et par fidélité à des chefs déjà comme engagés au fort de la mêlée, on se demande si, quoique soldat obscur dans ce groupe de trente amis et collègues vraiment conservateurs et vraiment libéraux, aguerris aux nécessités du gouvernement libre et jouant résolument ce jeu d’une coalition, on n’aurait pas mieux fait et mieux servi sa cause, la noble cause de la vraie liberté, en bravant le respect humain et déclarant franchement et tout haut ce qu’on sentait au fond du cœur. La moindre dissidence, de quelque part qu’elle vînt, ne pouvait-elle, surtout au début de la lutte, changer bien des résolutions et faire prendre au conflit un tour inattendu ? Je me suis fait souvent cette question tardive, et chaque fois, tout bien pesé, j’ai vu qu’un tel éclat, sans profit pour la cause, n’aurait servi qu’à nuire à celui qui l’aurait tenté. On se serait mépris sur cette résistance, on l’eût flétrie du nom de défection. Personne ne se fût détaché, tout au plus deux ou trois indécis. Le gros du bataillon aurait continué l’attaque : les esprits étaient trop montés, et si parmi les causes de cette animation il y en avait d’exagérées, même d’imaginaires, comme les prétendus actes de gouvernement personnel qu’on reprochait à la couronne, vraies peccadilles, simples malentendus, imprudences de langage travesties en réalités, d’autres griefs, il faut le dire, ne laissaient pas que d’être graves : nous avions sur le cœur certains actes d’hostilité, tout au moins malhabiles, qui, aux dernières élections, avaient atteint quelques-uns de nos meilleurs amis. Une transaction sérieuse et digne n’était vraiment plus possible, et le parti le plus sage pour ceux dont la retraite n’aurait rien empêché était encore de ne pas affaiblir, dans les rangs des coalisés, les représentans des idées modérées et conservatrices.

Il n’y avait guère que Duchâtel qui, en s’abstenant dès l’origine,