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complaisances et nos admirations qui encourageaient sa résistance, et n’aurions-nous pas pu le rendre raisonnable en l’appuyant plus froidement? Ces vues si justes, ces lueurs de bon sens passaient alors pour jeux d’esprit, pour paradoxes, et Duchâtel lui-même n’insistait pas, surtout en face du parti-pris, du ton railleur et du mauvais vouloir qui poussaient l’Angleterre à contredire nos sympathies. De part et d’autre, on en était venu à n’écouter que la passion, et, une fois l’orgueil national en jeu, tout changement de front devenait impossible. Il n’y avait plus que l’expérience, l’inexorable voix du fait accompli qui, en nous révélant la faiblesse de notre protégé, devait dissiper nos chimères et peu à peu nous faire rentrer dans des voies plus saines et plus vraies.

Tout compte fait, cette méprise de notre politique, si regrettable et si coûteuse à tant d’égards, ne fut pas sans compensation, puisqu’il en dut sortir une grande mesure de défense nationale, un gage de paix et de force, une garantie de notre honneur, les fortifications de Paris. Pour faire triompher dans les chambres cette patriotique entreprise, les ministres du 1er mars et ceux qui, le 29 octobre, avaient bravement pris le fardeau de leur succession, mirent en commun leurs efforts. On entendit cette fois encore, après les déclamations et les lieux-communs de la gauche, ne rêvant que bastilles et complots contre la liberté, un concert de solides réponses partant comme à l’envi des deux centres de la chambre; on entendit deux voix illustres marier encore leur éloquence et ne lutter que par émulation; pour un instant, on eût pu croire le 11 octobre ressuscité, mais l’illusion ne dura guère. Si les hostilités pendant un certain temps restèrent encore courtoises, c’est que l’état de l’Europe demeurait incertain. Ne fallait-il pas laisser un peu de force au cabinet pour qu’il fît disparaître ce traité qui avait ému la France et cet isolement qui l’inquiétait et l’irritait? On voulait bien le laisser vivre tant que son héritage eût semblé lourd à recueillir. Une fois le concert européen rétabli et l’ordre rentré dans la diplomatie, la guerre ne tarda pas à devenir ardente, et l’alliance avec la gauche de plus en plus étroite et passionnée.

Duchâtel, depuis le 1er mars et surtout depuis la fin de la session, s’était tenu constamment à l’écart. Longtemps éloigné de Paris, il n’y était rentré que vers le 20 octobre, et s’était d’abord abstenu de paraître aux Tuileries pour ne donner au cabinet aucun sujet d’ombrage; mais du jour où l’exécution facile du traité du 15 juillet en Orient et la soumission présumée du pacha eurent brusquement changé la scène politique, et où l’immensité de nos préparatifs militaires, perdant toute raison d’être immédiate, ne fit plus que surexciter, au lieu du sentiment de la défense nationale, les idées, les passions, les violences révolutionnaires, à tel point que 18â0 pre-