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nait de plus en plus l’aspect et la mauvaise allure de 1831; du jour où les ministres, devant ce danger nouveau, se sentirent affaiblis et comme désarmés par l’appui que leur prêtait la gauche, situation fausse et intenable qu’un des plus clairvoyans d’entre eux ne cessait de signaler au roi en lui disant : « Renvoyez-nous, sire, nous ne pouvons plus rien, et nous empêchons tout; » de ce jour, les scrupules ne furent plus de saison, et Duchâtel, aussi alerte et diligent qu’il était réservé jusque-là, dut instamment presser M. Guizot de hâter son retour et de venir, de Londres, fonder, d’accord avec lui, avec le maréchal Soult, avec M. Villemain et M. Humann, M. Cunin-Gridaine et M. Martin du Nord, un cabinet dont la tâche peu séduisante était de recommencer, au bout de neuf années, dans des circonstances presque aussi périlleuses, l’œuvre ingrate et impopulaire, bien que vraiment libérale, l’œuvre antirévolutionnaire et antibelliqueuse de Casimir Perier. Entrer dans ce cabinet en de telles conjonctures, sans autre perspective que des succès plus que douteux et des échecs presque certains, c’était un devoir sévère, surtout pour Duchâtel, qui était tenu de reprendre le poste que par dévoûment il avait déjà récemment occupé, — le ministère de l’intérieur. Ce n’était pas le moment de consulter ses goûts, d’obéir à ses aptitudes et de se dérober à la responsabilité politique en s’isolant dans sa spécialité. Plus la tâche était incommode, moins il pouvait s’y soustraire. Lui seul, à certains égards, semblait en position d’en braver les difficultés; sans hésiter, il s’en chargea, et pendant huit années il y donna toute sa vie.

On sait par quelle série de laborieux succès, par quels combats renouvelés sans cesse, et grâce à quels efforts d’éloquence et de courage, de clairvoyante activité, de franche et ferme discussion, ce cabinet parvint non-seulement à dégager la France du mauvais pas où elle était entrée, mais à recouvrer contre tout espoir, en deux ou trois années, presque tout le terrain que la monarchie constitutionnelle et le parti de gouvernement avaient perdu depuis 1835. On est tenté de ne pas s’en souvenir quand on songe à la catastrophe qui était là si voisine et qui allait tout engloutir; le regard s’attache au désastre et glisse sur les conquêtes qui l’avaient précédé. Mais à voir plus froidement les choses, l’omission se répare; on tient plus juste compte et du labeur et de l’œuvre accomplie; les vrais amis du gouvernement libre ne peuvent refuser quelque reconnaissance aux hommes qui osèrent alors tenir tête à l’orage, et qui si promptement triomphèrent et des menaces de la démagogie et du mauvais vouloir européen. Lorsqu’en octobre 1844 le roi Louis-Philippe revenait de Windsor, où il avait rendu cette visite de famille, sorte de gage de réconciliation que la jeune souveraine était venue la première lui porter au château d’Eu, quel chemin n’avions--