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que, que, il traitait sans pitié les idées vagues et pompeuses, les projets vides et sonores. Également exempt de routine et d’utopie, il ne cessa d’introduire dans les services dont il avait la surveillance et la tutelle, les prisons, les hospices, les établissemens de bienfaisance, je ne sais combien d’heureuses nouveautés écloses sous son patronage et bientôt reconnues nécessaires; mais ce qu’il tenait à bon droit pour sa meilleure fortune en ce genre, c’était d’avoir pendant son ministère assisté et présidé aux premières tentatives de ces deux découvertes les plus extraordinaires et les plus populaires qui depuis l’invention de la machine à vapeur aient étonné et illustré ce siècle, l’application de l’électricité à la transmission de la parole, l’emploi de la lumière à la reproduction des objets, la télégraphie électrique et le daguerréotype. Ce fut grâce à son intervention, à son intelligent concours, grâce aux essais qu’il prit sur lui d’autoriser, aux subsides et aux récompenses qu’il sut obtenir des chambres, que ces deux merveilleux procédés passèrent si rapidement du cerveau de leurs inventeurs en la possession du public, qui bientôt à son tour devait en obtenir de si ingénieux perfectionnemens.

On le voit donc, sous tous les aspects, il n’avait qu’à se féliciter de la périlleuse campagne commencée le 29 octobre 1840. Elle avait dépassé tout espoir; personnellement il y avait gagné; sa cause, ses idées, son parti, en avaient reçu comme une vie nouvelle; les adhésions les plus encourageantes se succédaient de tous côtés ; il avait vu avec bonheur un de ses meilleurs amis, M. Dumon, entrer dans le cabinet, et lui apporter un concours aussi éloquent que dévoué; pourquoi dès lors, au fond de l’âme et sans jamais en laisser rien paraître dans ses actes ni dans ses paroles, était-il malgré lui, même après les journées les plus décisives et les succès les plus incontestables, inquiet, soucieux et plein d’incertitude sur l’issue dernière de tant d’efforts? Cette disposition, qui ne fit que s’accroître à mesure que les années se succédèrent et que la lutte se prolongea, je la vis poindre chez lui, dans notre intimité, dès 1844, justement à l’époque où le roi revenait d’Angleterre et où par conséquent la fortune du cabinet semblait à son apogée ; mais c’était cette fortune même qui causait son principal souci. Ce succès persistant, résistant à toutes les attaques, s’éternisant depuis quatre ans, lui semblait gros d’orages. « Remarquez-bien, me disait-il, que, si chaque fois qu’on nous livre bataille, nous la gagnons, le lendemain c’est à recommencer. Tantôt l’un, tantôt l’autre attache le grelot; mais, pour le détacher, c’est toujours notre tour. Ils ont des relais, nous n’en avons pas. Je reconnais que la fortune nous a presque gâtés depuis quatre ans, à la condition toutefois de ne jamais nous délivrer d’une difficulté sans nous en mettre une autre aussitôt sur les bras; après la question d’Orient, la question du droit de visite; après