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de souveraineté, ils grèvent leur bien d’une hypothèque, et l’hypothèque est un commencement d’aliénation. Demander aux Souabes de n’être plus tout à fait Souabes, aux Bavarois d’être un peu moins Bavarois, n’est-ce pas les préparer à de plus grands changemens, leur donner des habitudes de renoncement dont la Prusse pourrait un jour profiter? Les traités nous ont rendus à nous-mêmes; jouissons du moins de notre pleine indépendance, du droit que nous possédons de régler nos affaires de ménage comme il nous plaît. Nous avons des voisins; entretenons avec eux des relations cordiales et intimes; délibérons ensemble sur tous les intérêts communs, entendons-nous et donnons de l’éclat à notre entente. C’est la seule politique sage et pratique. »

M. de Varnbüler ne se flattait pas de convaincre les démocrates. Ils ont une arrière-pensée dont ils ne font pas mystère. Au nord du Mein, les petites couronnes et leurs petits parlemens ont été médiatisés par la Prusse au profit de sa dictature militaire; le rêve des démocrates est de médiatiser les couronnes du sud au profit d’un parlement fédéral, qui pourrait bien quelque jour se transformer en un parlement républicain. « Ce que vous désirez est possible, leur dit M. de Varnbüler dans une séance qui est une page mémorable de l’histoire parlementaire du Wurtemberg. Une république de l’Allemagne du sud, se rattachant peut-être à la confédération suisse et peut-être aussi invoquant plus tard le protectorat d’une grande puissance, n’est pas un rêve irréalisable. Il suffit pour cela de sacrifier quelques couronnes; mais je me souviens d’un serment que j’ai prêté, et, quel que soit mon désir de vous être agréable, je ne puis, en vérité, disposer de la couronne de mon roi. » Ce procès est toujours pendant, chacune des deux parties ayant raison à son point de vue. Les démocrates continueront de soutenir dans la chambre des députés de Stuttgart les trois articles de leur programme : dénonciation du traité d’alliance, l’armée permanente remplacée par des milices, fondation d’un Südbund. Ce qu’ils proposent est une aventure ou, pour ne rien dire de trop, un essai, et depuis 1866 l’Allemagne du midi est peu disposée aux essais. Elle éprouvait naguère comme un étonnement de vivre dont elle n’est pas tout à fait remise; elle se dit que le mieux est l’ennemi du bien et qu’il est bon de s’en tenir à ce qu’on a. Il en est des peuples comme des individus : il y a des jours où tout leur semble facile; le lendemain tout leur paraît malaisé, ils ne se fient plus à la fortune, et l’inconnu les effraie.

Chose remarquable, personne en Europe ne s’est étonné de voir que plusieurs des clauses du contrat de Prague ne s’exécutaient point, que la confédération du sud n’existait que sur le papier, que d’année en année celle du nord ressemblait un peu moins à une