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rans n’avaient pas eu le temps de donner la vraie mesure de leurs forces, que par un concours inoui de circonstances favorables la Prusse avait eu trop aisément gain de cause, que des victoires peu disputées enflent le cœur et poussent à de nouvelles entreprises. On a soutenu que la médiation française, utile en apparence au vaincu, avait tourné à l’avantage du vainqueur, qu’elle l’avait préservé de ses propres témérités, et lui avait épargné les difficultés qui l’attendaient. Cette campagne de sept jours, a-t-on dit, n’a rien prouvé, sinon que l’armée prussienne était excellente, et que l’Autriche n’était pas prête; mais le succès qui l’a couronnée est la plus éclatante surprise qu’aient enregistrée les fastes militaires, la paix de Prague est le résultat d’un accident. Il s’ensuit que le vainqueur, ébloui des rapidités de sa fortune, s’est grisé de son triomphe et s’abandonne à des ambitions démesurées, se flattant que désormais rien ne lui est impossible. Qu’y a-t-il de vrai dans ce jugement? Se demander ce qu’il serait advenu si l’Autriche, après Sadowa, obéissant à de mâles conseils, s’était résolue à une résistance désespérée, c’est ouvrir le champ aux conjectures, et en pareille matière les conjectures sont bien trompeuses. Après tout, si l’on n’avait à reprocher à la guerre de 1866 que d’avoir été trop courte, à la paix de Prague que d’avoir été prématurée, puissent toutes les guerres et toutes les paix à venir mériter le même reproche !

Prématurée ou non, la paix de Prague est entachée d’un vice grave et malheureusement irrémédiable. Aucun traité ne fut conçu dans des termes plus vagues, plus louches, plus élastiques. Un philosophe amoureux des idées claires a déclaré que les idées confuses étaient la source de toutes les misères, de tous les désordres qui affligent la pauvre humanité. Le traité de Prague est un chef-d’œuvre de confusion. Ceux qui l’ont inventé et qui en profitent ont sans contredit l’esprit très clair et très lucide; il faut croire que leur habileté trouvait son compte à équivoquer. En dictant leurs conditions, ils se sont étudiés à parler tour à tour deux langues et à brouiller toutes les idées, parce qu’ils y voyaient un moyen de concilier toutes leurs ambitions.

Les partis ont une singulière façon d’écrire l’histoire : ils assouplissent les faits, les accommodent à leurs vues. Si l’on en croyait certains publicistes du parti national, il n’y aurait pas de distinction à faire entre les intérêts prussiens et les intérêts allemands. A les entendre, la Prusse fut dès l’origine le champion dévoué de l’Allemagne, qu’elle s’appliquait à rendre forte et libre; ses princes, électeurs ou rois, ont tous eu l’âme allemande, das deutsche Bewusstseyn, ils ont toujours représenté l’idée nationale, avant même que l’on eût découvert ce que c’est qu’une âme allemande ou qu’une idée nationale, dans un temps où l’habile conseiller du grand-électeur,