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Si la paix de Prague n’avait pas eu d’autres résultats, elle eût été maudite par les populations qu’on a annexées sans les consulter, elle n’eût point agréé non plus aux esprits jaloux qui se sentent diminués par les agrandissemens d’autrui; mais l’Europe serait tranquille et rassurée sur l’avenir. Malheureusement la Prusse n’avait pas achevé son œuvre qu’elle s’est mise en tête d’en commencer une autre. Elle ne s’est pas contentée de faire la Prusse aux dépens de l’Allemagne, elle se réserve de faire l’Allemagne aux dépens du repos public.

Le patriotisme germanique existait à peine au XVIIIe siècle et Frédéric II n’a pas eu à compter avec lui. Il est né avec la grande littérature allemande, parce que les grands écrivains ont pour patrie leur langue, et qu’en les lisant leur nation acquiert le sentiment et l’orgueil de son génie ; il a été fortifié par la politique napoléonienne, par les sécularisations, par la suppression d’une foule de petites souverainetés qui morcelaient l’Allemagne; il a été surexcité par de communs revers, par une haine commune pour le commun oppresseur, par le besoin de s’unir pour se mettre désormais hors d’insulte. Plus tard, l’idée nationale trouva un puissant allié dans le libéralisme, qui ne pouvait espérer de vaincre les résistances aveugles et obstinées des princes qu’en formant des liens plus étroits entre les peuples. La constituante révolutionnaire de Francfort se proposait de donner à l’Allemagne un parlement national qui tiendrait les souverains en bride, et assurerait à tous les états les garanties constitutionnelles. A la majorité de quatre voix, elle décerna la couronne impériale à la Prusse. Le roi Frédéric-Guillaume IV recula devant les hasards de cette aventure. La constitution à laquelle il aurait dû prêter serment n’était pas de son goût. Il refusa ce dangereux présent, et, reprenant la politique traditionnelle de sa maison, il essaya de fonder une union étroite des princes du nord, projet que l’Autriche fit avorter. Après Sadowa, la Prusse, forte de ses annexions directes et de ses annexions déguisées, se sentait en état de dicter des lois à l’Allemagne et de réaliser à son profit l’idée nationale, sans lui rien sacrifier. Le nord du Mein et la politique du grand Frédéric ne lui suffisent plus; elle brûle de porter ses aigles au-delà du Danube; elle dit tout haut : L’Allemagne, c’est moi.

La Prusse joue deux personnages différens et les joue à merveille. Elle est tout à la fois l’une des cinq grandes puissances et un état allemand. En sa qualité de grande puissance, elle est cosmopolite, les questions d’origines et de races la touchent peu; Polonais, Danois, tout lui est bon pour s’arrondir, elle n’a pas de préjugés, elle fait passer les affaires avant tout; elle l’a bien prouvé en s’alliant avec l’Italie contre l’Autriche et contre la diète. En sa qualité d’état