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t-il à tenir compte de ses repentirs ? Si l’on admet, par exemple, que le Tyrol aurait le droit, s’il le voulait, de se donner par un vote à la Prusse, admettra-t-on en retour que les 2,500,000 Polonais qu’elle retient malgré eux dans sa puissance ont aussi le droit de reprendre par un vote leur liberté ? Qui se chargera d’en aller faire la proposition à Berlin ?

C’est la France qui a pris sur elle de déclarer qu’elle tenait les traités de Vienne pour périmés. Ils avaient été faits contre elle, et ceux qui les avaient faits les avaient violés à ses dépens. C’est elle qui, la première, proclama ce qu’elle appelait le droit nouveau. Quand, après la guerre d’Italie, elle se paya de ses dépenses d’hommes et d’argent par un agrandissement, elle y mit toutes les formes anciennes et nouvelles. Jamais conquête ne fut plus correcte : on avait pour soi la cession volontaire du possesseur, un transfert de propriété en toute règle, le principe des nationalités et de l’unité de langue, le vote des populations. Le tort du gouvernement français fut de vouloir remplacer les traités de Vienne par des dogmes encore mal approfondis et dont on n’avait pas prévu toutes les conséquences. Il professa publiquement son droit nouveau, il se piqua de l’enseigner à l’Europe. Professer des doctrines, c’est quelquefois travailler pour le compte d’autrui. Parmi les auditeurs que la France endoctrinait, il s’en trouvait un qui a l’oreille fine, l’esprit souple et délié, et qui suivit le conseil du moraliste : « écoutez tout, et retenez ce qui est utile. » Son intelligente docilité l’a conduit à de merveilleux résultats. Il n’a pas appliqué les nouvelles maximes à tort et à travers, il les a accommodées à ses convenances ; il a distingué soigneusement les cas. C’est au nom du principe des nationalités qu’il a revendiqué le Holstein ; mais il ne songe point à le pratiquer dans le Slesvig. Est-il bien sûr que les Danois soient une nation ? C’est au nom du principe de la volonté nationale qu’il dénie à l’Europe le droit d’empêcher les Allemands du sud de se donner à lui ; mais il n’a eu garde de consulter les Hanovriens et les Hessois avant de les prendre ; il n’a voulu les posséder que par le droit de l’épée. Est-il bien sûr que le Hanovre et la Hesse-Électorale aient une volonté ? Il est vrai qu’en revanche il a promis aux Slesvigois de les faire voter ; mais, les traités n’ayant rien stipulé sur le mode de votation, on ne s’est pas mis en peine de le trouver. Est-il bien sûr après tout que les votations prouvent quelque chose ?

La paix de Prague n’a pas seulement détruit les traités de Vienne sans les remplacer, attendu que ceux à qui elle profite ne l’ont acceptée que sous bénéfice d’inventaire ; elle a aussi enterré toutes les doctrines nouvelles par lesquelles on cherchait à suppléer à ces traités désormais prescrits et caducs. La paix de Prague est une