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en eux des hommes pleins de confiance dans leurs forces. Ils ne forment pas le dixième de la population totale dans la partie du Yunan qu’ils ont soumise; mais ils sont plus braves que leurs ennemis, ils ont l’orgueil, l’enthousiasme et la foi. Les généraux qu’on leur oppose, gens sans honneur ou sans courage, commandent à une plèbe dont aucun sentiment patriotique ne secoue l’inertie. Lorsqu’on songe d’ailleurs que le souverain de 300 millions d’hommes n’a pu, sur le champ de bataille de Sagawane, opposer plus de 15,000 soldats aux armées européennes qui menaçaient sa capitale, on ne s’étonne plus du succès d’une poignée de rebelles dans la province la plus reculée de l’empire. Si ces derniers acceptaient pour limites du royaume indépendant qu’ils aspirent à fonder les limites mêmes du Yunan, le gouvernement de Pékin agirait sagement en renonçant, malgré les richesses qu’il contient, à un territoire demeuré si longtemps en dehors de l’unité chinoise; mais on peut craindre qu’il n’en soit pas ainsi. Cette révolte, et c’est là ce qui la rend redoutable, est condamnée par sa double nature à suivre son cours; il ne dépend pas de ceux qui la dirigent de l’arrêter, tant qu’elle aura des infidèles à combattre, car si la politique peut assigner d’avance des bornes à ses conquêtes, il n’en est point ainsi pour la propagande religieuse. On affirme en effet que le nouveau sultan de Tali aurait dédaigneusement repoussé les offres de l’empereur de Chine, et répondu aux ouvertures conciliantes de celui-ci en expulsant les ambassadeurs chargés de les lui adresser. S’engager à respecter les frontières des provinces voisines du Yunan alors que chacune d’elles renferme un germe de dissolution, ce serait trahir le prophète et attirer sur soi les châtimens de Dieu. Le Kouei-tcheou, par exemple, n’est guère moins troublé que le Yunan par l’insurrection des Miao-tse, ces rudes montagnards, ces fils des champs incultes, souvent battus, jamais domptés, et toujours prêts à secouer un joug que les mains débiles du Fils du Ciel ne sont plus en mesure de maintenir. Le Setchuen lui-même n’est pas épargné par la guerre civile, sans cesse rallumée dans cette belle contrée par les Mauseu, chassés il y a moins de deux siècles de Souitcheou-Fou, leur capitale, et refoulés dans le Léanchan, région montagneuse à travers laquelle coule le Fleuve-Bleu.

Au temps de la prospérité de l’empire, ces barbares vivaient insoumis, abrités par les contre-forts de l’Himalaya, descendant parfois dans la plaine et regagnant bientôt après leurs repaires, où ils se partageaient le butin. Leur audace s’accroît aujourd’hui dans la mesure où la répression s’affaiblit, et leurs efforts secondent trop bien les desseins des musulmans pour n’être pas favorisés par ceux-ci. Déjà les musulmans du Yunan, exploitant les rancunes des tribus autochthones, se sont servis des Miukias comme des Lolos, sauf à