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dévore, les annales de la Chine n’en sont pas moins remplies de récits merveilleux. L’empereur Ming-Ti, ayant aperçu pendant son sommeil un homme resplendissant d’or qui s’avançait vers lui, comprit, et cela fait honneur à sa sagacité, qu’il y avait dans les contrées situées à l’occident de la Chine un être extraordinaire plus fort que les rois et plus sage que les lettrés. Il envoya aussitôt chercher la statue du maître inconnu et les livres renfermant sa doctrine. Les ambassadeurs trouvèrent dans l’Inde les images et les préceptes de Bouddha, et rapportèrent ces trésors. Voilà comment le bouddhisme pénétra dans l’empire au VIIe siècle avant notre ère. Au dire de plusieurs mahométans que j’ai consultés dans le Yunan, l’islamisme y fit une entrée à peu près semblable. Rien n’est stérile comme l’imagination des peuples barbares; enfantant toujours les mêmes chimères, elle a éternellement recours aux mêmes plagiats. Qu’au lieu d’habits dorés on revête le fantôme de vêtemens arabes, qu’à la place d’une simple curiosité d’esprit on veuille bien supposer chez l’empereur auquel le fantôme apparut un besoin pressant de secours contre des troubles intérieurs et des fléaux extraordinaires, et l’on aura l’explication légendaire du fait historique qui nous occupe. Ce serait donc un empereur de Chine qui, dans une circonstance critique, aurait attiré chez lui les premiers musulmans. Quand ces auxiliaires eurent cessé d’être utiles, on peut bien penser qu’ils devinrent dangereux, et que, suivant une pratique toujours usitée en Orient à l’égard des masses embarrassantes, ils furent dispersés dans l’empire et confinés dans des provinces éloignées, où ils se sont multipliés. Les musulmans du Yunan n’ont en effet sur leur origine que des idées très confuses; mais on démêle dans tous leurs récits, au milieu de fables qui les rattacheraient aux démons, — filiation que les malheureux Chinois seraient d’ailleurs très disposés à admettre, — un vague souvenir d’assistance fournie à l’empire, de triomphes obtenus sur des rebelles, triomphes payés d’ailleurs par l’ingratitude. L’histoire confirme ces traditions.

La nation chinoise n’a pas toujours été cette nation laborieuse et d’humeur paisible, voulant vivre seule et pour elle seule, uniquement occupée à repousser l’invasion des idées étrangères en opposant une résistance désespérée à la force qui l’entraîne dans l’universelle gravitation des peuples. Elle a souvent porté ses armes fort au-delà de ses immenses frontières, et l’on peut dire qu’il n’y a pas de région dans l’Asie continentale qui n’ait été contrainte à respecter son nom. Sous les Thang, elle exerçait une suzeraineté réelle jusqu’à la Perse et à la mer Caspienne à l’ouest, et au nord jusqu’aux monts Altaï. Elle recevait des ambassadeurs du Népaul, de l’Inde et de l’empire romain, et protégeait le roi de Perse contre les