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a tiré des révélations nombreuses qui n’ajouteront rien certainement à la gloire de Defoe, mais qui mettent en lumière le caractère instable de cet homme que l’âge et l’adversité ne pouvaient abattre.

Vers la fin de l’année 1715, l’Angleterre était encore agitée par les factions. Le gouvernement venait de comprimer des émeutes dans les rues de Londres. Les journaux tories et jacobites attaquaient le ministère avec violence et ne respectaient pas même la personne du roi. Les poursuites judiciaires ne semblaient point être efficaces; il était peu probable que le parlement consentît à restreindre la liberté de la presse. Or, on le sait, Defoe était alors menacé d’une condamnation pour avoir publié un pamphlet hostile au gouvernement. Par un appel pathétique aux sentimens de conciliation qui avaient été la règle de sa vie en maintes occasions, il réussit, croit-on, à émouvoir les juges dont dépendait son sort, et sut convaincre lord Townshend, secrétaire d’état, que personne n’était plus attaché que lui au roi régnant et au parti politique en faveur. De fait, malgré son amitié pour les ministres de la veille, il est juste de reconnaître qu’il avait toujours été le fervent défenseur des whigs, sauf des dissentimens accidentels que les événemens du jour expliquaient. Réconcilié avec le pouvoir, il se sentit en goût de le défendre. Lord Townshend, heureux de rallier un écrivain de si rares qualités, lui offrit d’entrer au service du gouvernement. Seulement son concours, pour obtenir plus de crédit, devait être occulte. On convint d’un arrangement amiable à l’insu du public. Defoe resterait en apparence l’ennemi des whigs et conserverait l’attitude d’un mécontent.

Quelle allait être son rôle dans cette situation ambiguë? Ici, rappelons-nous que l’histoire dont il s’agit se passait il y a cent cinquante ans, que le niveau moral de la nation avait été déprimé par de trop longues dissensions, et qu’on était encore bien rapproché de l’époque où Louis XIV se vantait de ne trouver que des consciences vénales en Angleterre. Si les vices du temps n’excusent pas la conduite que tint Defoe, du moins elles en atténuent l’indignité. Le ministère aimait mieux prévenir les articles de journaux qui lui étaient désagréables que d’avoir à les punir, d’autant plus que l’auteur anonyme échappait à la condamnation, dont un malheureux imprimeur était seul à souffrir. Il fut entendu que Defoe prendrait ouvertement le parti des tories en vue d’amortir la violence de leur polémique et de la rendre par cela même innocente. L’une de ses lettres autographes récemment découvertes dévoile ce complot avec une naïveté ingénue. Voici ce qu’il écrit en effet dès 1718 à l’un des membres du gouvernement : « J’ai pris un engagement avec ce journal, de telle sorte que, quoique je n’en aie la propriété qu’en par-