Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/707

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chures qui étaient signées par l’auteur de la Revue. Sous l’une ou l’autre de ces expressions, le lecteur savait à merveille qu’il fallait entendre Daniel Defoe; mais, à partir de 1715, ses écrits politiques devinrent réellement anonymes, et si les contemporains percèrent quelquefois le secret, comme on va le voir, on s’explique que les biographes, en racontant sa vie longtemps après, aient pu s’y tromper et fixer à cette même année la fin d’une carrière dont ils ne soupçonnaient pas la duplicité.

Il y avait alors d’assez nombreux journaux périodiques. L’un d’eux, qui s’intitulait News Letter, avait soutenu longtemps les intérêts du torysme et de l’église établie. C’était une feuille d’autant plus désagréable au gouvernement du jour qu’il était assez embarrassant de la traduire devant les tribunaux, car les copies en étaient manuscrites. L’éditeur, qui ne réussissait pas en ses affaires, vint proposer à Defoe de lui vendre une part de propriété et de lui abandonner la direction entière. Le publiciste accepta bien vite, après avoir pris auparavant l’avis de lord Townshend. Le journal conserva néanmoins la couleur politique qu’il avait eue précédemment, mais en devenant assez modéré pour ne plus être importun. Quelques mois après, Defoe s’introduisait de la même façon dans un autre journal du même parti. Le Journal de Mist, feuille hebdomadaire dont le premier numéro parut le 15 décembre 1716, était l’organe du prétendant; les propriétaires et les adhérens de cette feuille étaient tous papistes et jacobites; les nobles exilés à la suite de Jacques II le soutenaient de leur argent et lui envoyaient leurs correspondances. Defoe n’y fut admis d’abord qu’en qualité de traducteur des nouvelles étrangères; mais l’éditeur Mist lui laissa prendre une large part dans la rédaction habituelle, d’autant plus volontiers que la collaboration de Defoe contribuait d’une façon évidente au succès de l’entreprise. Ce journal paraissait le samedi en six pages de petit format. En tête figuraient les nouvelles de l’étranger, puis les lettres des correspondans, puis les nouvelles de l’intérieur et enfin les annonces. Defoe imagina d’ouvrir chaque numéro par une lettre dont il était presque toujours l’auteur anonyme, et relative à l’affaire la plus importante du jour. On appela « lettre d’introduction » cet article, qui donnait au journal une couleur tranchée, en quelque sorte une individualité. Les autres feuilles hebdomadaires adoptèrent bientôt cette coutume, qui fut une véritable révolution dans le journalisme.

Cependant Defoe sentait le poids de cette situation fausse. Sans cesse en rapport avec des hommes dont il se vantait ailleurs de ne pas partager les opinions, il avait aussi à lutter contre les intérêts pécuniaires de l’imprimeur et de l’éditeur, qui auraient voulu ac-