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conquêtes déjà faites et des droits acquis de la pensée ? Le mouvement naturaliste qui s’opère au XVe siècle sous l’influence de Masaccio confirme bien plutôt qu’il ne dément les efforts tentés dès le siècle précédent pour arriver à persuader l’intelligence par une image plus vraisemblable des choses. La grâce un peu mondaine de Filippino Lippi continue, en les rajeunissant, les traditions de l’art délicat pratiqué par Benozzo Gozzoli, comme les énergiques exemples d’Orgagna, repris et commentés par Luca Signorelli, aboutissent, de développement en développement, aux terribles fresques de la Sixtine. Enfin lorsque Raphaël apparaît, lorsque « le peintre à l’âme élue et bienheureuse, » comme dit Vasari, vient répandre sur le monde le trésor de ses inspirations, le passé de l’art national, loin de disparaître ou de s’effacer, ne fait que se résumer dans cette incarnation suprême. Les chefs-d’œuvre que Raphaël a laissés n’attestent pas seulement l’excellence de ses aptitudes personnelles, ils sont aussi le dernier mot, la conclusion logique des entreprises poursuivies en Italie par six générations d’artistes, et, sans attenter à la gloire du plus grand des peintres, on peut dire que, pour arriver à faire mieux qu’on n’avait fait encore et qu’on ne devait jamais faire, il n’a guère moins recueilli qu’il n’a deviné.

Un des mérites du livre de M. Mantz est de nous retracer clairement, dans l’histoire de la peinture italienne, cette marche toujours progressive vers un but entrevu dès les premiers pas, puis, lorsque ce but si unanimement poursuivi a été atteint, de nous montrer le succès même engendrant les abus, l’esprit de système et la convention se substituant aux recherches sincères, jusqu’au jour où l’art, désormais vaincu par la routine, achève de s’immobiliser et s’éteint. À quoi bon dès lors compliquer de questions secondaires ou de menus détails la description de ces faits généraux ? Fallait-il, suivant un usage à peu près consacré, multiplier les classifications, parquer en quelque sorte les écoles dans les limites de la fatalité originelle, et subordonner bon gré mal gré le rôle des artistes à l’orthographe de leurs noms ou à la lettre de leur acte de naissance ? — Rien de moins utile au fond et souvent rien de plus contraire à la vérité que cette prétendue rigueur historique. « Lorsque l’on voit, dit avec raison M. Mantz, en des lieux qui semblent si divers, s’opérer simultanément les transformations les plus radicales,... on doit reconnaître que, malgré certaines divergences apparentes, les écoles italiennes n’en forment qu’une, qu’il est arbitraire de séparer ce qui a été si intimement uni, et que dans ces réveils, dans ces triomphes, dans ces défaillances, qui se produisent partout à la fois, il n’y a qu’une seule et même histoire. »