Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/731

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyens ou plutôt le sens secret qu’ils impliquent nous paraissent quelquefois dépasser un peu la limite qui sépare les délicatesses du goût critique des interprétations subtiles.

Je sais le néant ou le ridicule d’une certaine théorie qui, supprimant les calculs de la pensée dans les œuvres des maîtres, prétend tout expliquer par des facultés inconscientes, par la simple influence de l’instinct ou du tempérament. C’est sans doute comprendre bien incomplètement Raphaël, c’est le louer à faux que de lui attribuer uniquement, comme on l’a fait de nos jours, des privilèges indépendans de sa volonté, une sorte d’aptitude fatale, pareille à celle de l’oiseau qui chante ou de la plante qui fleurit; en revanche, n’est-ce pas vouloir le comprendre un peu trop que de deviner une arrière-pensée morale ou métaphysique jusque dans les moindres objets figurés par son pinceau, jusque dans les rapprochemens ou les contrastes établis pour ajouter au charme des lignes, ou pour en pondérer les mouvemens? Quelles que soient en général la justesse de ses appréciations et l’élévation de ses vues, l’auteur du nouveau livre sur les Vierges ne s’est pas, à notre avis, toujours préservé de cet excès. Est-il bien sûr, par exemple, de traduire exactement l’intention que Raphaël a entendu formuler dans la Vierge de la maison d’Orléans en nous montrant ici « Dieu cachant l’avenir à la Vierge, et Jésus se détournant d’elle pour lui en dérober la tristesse? » Dans le chapitre qu’il a consacré à la Vierge au diadème, du Louvre, avait-il bien le droit de supposer qu’en groupant tout au fond de la scène quelques petits personnages auprès d’un monument en ruine, le peintre ait voulu nous faire pressentir « la disproportion qui existe entre la taille de l’homme et la grandeur orgueilleuse de ses vues? » Encore une fois, l’on ne saurait trop énergiquement protester contre la doctrine des écrivains qui ne reconnaissent aux belles œuvres qu’un charme d’accident et une origine toute fortuite; mais on ne saurait non plus absoudre complètement ceux qui, dans l’application de la doctrine contraire, se laissent aller à des raffinemens littéraires d’autant plus imprudens qu’ils peuvent compromettre la notion des vraies conditions pittoresques et des ressources exactes de l’art.

Ces réserves une fois faites sur les caractères d’un livre qui n’aurait en somme que le tort d’être trop rempli, il n’y a plus qu’à louer l’érudition et la précision avec lesquelles les détails relatifs au maître lui-même et à l’histoire de son talent sont exposés ou rappelés. Assurément tout n’est pas et ne pouvait pas être entièrement neuf dans un travail de cette sorte. Depuis les premières indications fournies par les écrivains italiens du XVIe siècle jusqu’aux documens publiés, il y a quelques années, en Allemagne,