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auront beau arguer des progrès de la raison humaine et gourmander un prétendu esprit de routine ; ils ne feront pas que ce qui a mérité d’être admiré depuis des siècles ait perdu aujourd’hui sa raison d’être, ou que Ingres et Flandrin, en continuant sous nos yeux la tradition des maîtres, n’aient prolongé que des souvenirs stériles, servi qu’une cause sans avenir; ils ne feront pas que l’immortelle vérité cesse avec la vie d’une race ou d’un homme, que la beauté dépende des mœurs d’une époque, et que cette parole de Platon ne demeure éternellement applicable aux œuvres de l’art, quels qu’en soient d’ailleurs l’âge, la nationalité ou les origines : « il y a une sympathie intime entre la pureté, la vérité et la beauté; ce qu’il y a de plus pur est essentiellement ce qu’il y a de plus vrai et ce qu’il y a de plus beau. » Or Raphaël a réalisé dans ses œuvres la conciliation souveraine de ces élémens de la perfection. C’est parce qu’il a été le plus pur des peintres qu’il en a été aussi et qu’il en demeure le plus grand, — comme l’école italienne occupe le premier rang parmi les écoles modernes parce qu’elle a su, mieux qu’aucune autre, donner à l’image des actions ou des formes humaines un caractère à la fois idéal et vivant. Des livres tels que ceux dont nous venons de parler sont propres à rappeler ces faits, et par cela même ils sont utiles. Tout en paraissant exclusivement consacrés à la mémoire de quelques talens ou à la description de quelques œuvres, ils remettent en lumière les principes en vertu desquels ces œuvres ont mérité de survivre, ces talens d’exercer encore aujourd’hui leur influence. Voilà pourquoi de pareils travaux participent de l’histoire proprement dite et contiennent mieux que des souvenirs sans écho. En matière d’art comme ailleurs, l’histoire n’a pas pour objet unique de contenter notre curiosité : les informations qu’elle nous livre sont aussi des avertissemens et des exemples que nous avons le devoir de mettre à profit.


HENRI DELABORDE.