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à permettre à des hommes à rangs serrés de tirer à couvert de partout, et souvent par trois étages de feux. Pour qu’aucun point ne fût dérobé à leur vue, le faubourg de Coudiat-Aty, même les écuries du bey, au Bardo, avaient été rasés.

Constantine eût été imprenable, si Ben-Aïssa, écoutant les conseils des aventuriers européens qui parvinrent jusque dans cette ville, avait élevé un fort sur le piton de Coudiat-Aty, et coupé par un fossé avec glacis l’isthme étroit par lequel seul la ville tient à la terre; mais, heureusement pour la France, le sauvage Kabyle ne comprenait point les finesses de l’art de l’ingénieur. Dominé par sa méfiance et son mépris pour tout étranger, il chassa les officieux donneurs d’avis, et traita cavalièrement même les envoyés de la Porte ottomane, car il n’avait confiance qu’en lui-même et dans la garnison qu’il avait accrue et exercée.

A côté de l’infanterie turque et kabyle, portée à 1,500 combattans, avec des officiers choisis parmi les plus braves, il avait formé en une milice urbaine, forte de 2,000 hommes bien armés, les corporations de métiers commandées par leurs amyns ou syndics, sous l’autorité de Bel-Bedjaoui, caïd-ed-dar (le chef du palais). Turc vigoureux et passionné; mais l’élite de la garnison, qui, avec les Kabyles du voisinage, pouvait facilement être portée à 6,000 hommes, c’étaient les 500 canonniers, tous Turcs du Levant, et recrutés un à un pour leur adresse et leur bravoure. A défaut d’enseignement théorique, le bach-palaouau (le chef des hercules), qui les commandait, leur avait donné la meilleure instruction pratique en les exerçant à tirer sur tous les points où les assiègeans s’étaient établis l’année précédente, et sur ceux où les batteries pouvaient être construites, et les Français purent certifier plus tard qu’ils savaient leur métier.

Ces troupes, fanatisées par les prédications quotidiennes des muphtis, avaient pour réserve une population enivrée d’un premier succès, et qui avait vivres, poudre et armes à discrétion, car Ben-Aïssa avait accumulé les moyens de guerre, approvisionné la ville pour deux mois en grains et biscuits, et ordonné en outre à chaque habitant de se pourvoir de vivres pour lui et les siens. Il avait enlevé tout prétexte à la mollesse : il traita en ennemie l’apparence de l’inquiétude, et punit de mort et de confiscation les tentatives d’émigration des riches habitans, qui, comme partout, craignaient moins la victoire de l’étranger que le devoir de le combattre. Appuyé sur une défense aussi complète, Achmed répondit avec une insolente arrogance au général de Damrémont, et lui imposa la glorieuse nécessité d’aller prendre cette ville qui ne voulait pas se rendre.

La France releva fièrement le gant qui lui était jeté, et fit preuve