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core mieux par son génie et ses efforts tardifs que la médiocrité laborieuse par une application continue.

Le télégraphe, la vapeur et une estafette de Bône et de Medjez-Amar permirent de communiquer en trois jours, de Paris au pied de l’Atlas, avec les avant-postes du corps expéditionnaire, placé entre deux nécessités contraires, le départ immédiat et l’attente des renforts.

Les chefs les plus habiles et les plus éminens furent désignés pour seconder le général de Damrémont dans l’accomplissement d’une tâche pour laquelle rien ne devait être négligé, car elle importait à l’honneur de la France. Le roi fit chercher dans la retraite, d’où il ne comptait plus sortir, pour lui confier la direction si laborieuse du service de l’artillerie, le lieutenant-général comte Valée, incontestablement le premier artilleur de l’Europe. Dévoué et modeste, comme Boufflers vis-à-vis de Villars, il partit malade pour aller, en bravant un climat meurtrier, faire sa dix-septième campagne et son vingt-deuxième siège sous les ordres du général de Damrémont, qui n’était encore que capitaine lorsque lui était déjà lieutenant-général sur la brèche de Taragone.

Le lieutenant-général baron Rohault de Fleury, connu par son énergie et son noble caractère, fut placé à la tête de l’arme du génie.

Le duc de Nemours, revenu à l’avant-garde de cette armée dont il avait partagé les souffrances; le général Trézel, qui n’avait guéri sa grave blessure que par de nouvelles fatigues; le général RuIhières, l’un des chaînons qui rattachent les traditions glorieuses de l’ancienne armée avec les espérances de la nouvelle; les colonels Combes et Bernelle, déjà connus par de beaux faits d’armes, reçurent le commandement des brigades.

Une escadre, partie de Toulon, enlève à Achmed l’appui qu’il attendait de Tunis; l’amiral Lalande, avec cinq vaisseaux de ligne, s’embosse devant la Goulette. Le complot ourdi par les Turcs est déjoué; les principaux conspirateurs, parmi lesquels se trouvait un ministre du bey, sont étranglés par ordre et en présence de ce prince, et le capitan-pacha, devancé par les Français, n’arrive que pour assister au triomphe de leur influence.

La flotte ne borne pas à cette diversion son utile assistance. Par une abnégation rare, et qui prend sa source dans le véritable patriotisme, la marine transforme en flûtes ses vaisseaux de haut bord, et, malgré le danger d’une côte sans abri pour de si grands bâtimens, elle les emploie à des transports multipliés, où ils embarquent jusqu’à 12 millions de livres pesant avec 14,000 passagers. Trop souvent les diverses armes croient déroger en sortant de leur spécialité principale pour devenir des auxiliaires subordonnés : les marins, au-dessus de ce préjugé égoïste qui a causé plus d’une