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retraite, contre laquelle il se ménageait l’alliance de la disette. Il apprit à ses dépens qu’à la guerre une chance passable et présente ne doit jamais être sacrifiée aux espérances les plus séduisantes.

La cavalerie française, lancée au loin, à la débandade, avec de petites réserves, s’efforça d’arrêter cette œuvre de destruction, puissant moyen de défense des peuples ayant peu à perdre et osant opposer le vide à un ennemi qui ne peut vaincre que ce qui lui résiste. Il s’ensuivit plusieurs rencontres, parmi lesquelles on remarqua la brillante charge du 1er chasseurs d’Afrique contre des douars opiniâtrement défendus du haut des rochers par des Kabyles qui se firent tuer sans fuir.

Le 5 au matin, au monument de Souma, majestueux témoignage de la grandeur de ce peuple romain dont les Vandales eux-mêmes, ces terribles niveleurs, n’ont pu effacer la trace, l’armée salua d’un cri de joie Constantine, qui ressortait, éclairée par un soleil brillant, sur un fond de montagnes des formes les plus belles et des couleurs les plus riches. Ce fut déjà une première vengeance pour ceux à qui ce spectacle grandiose rappelait de si funestes souvenirs.

Mais après cette apparition, des nuages noirs, reflétant en pourpre la lueur des incendies, s’amoncelèrent sur l’armée, qui subissait déjà l’influence diabolique de cette ville fatale, et la pluie vint encore confirmer le nom de a camp de la boue, » déjà donné l’année précédente au bivac où les deux colonnes se réunirent le 5 au soir, après avoir mis cinq jours à faire 18 lieues.

Le 6, on part dès la pointe du jour pour gravir le Mansoura, avant que les terres soient trop détrempées. Chaque pas de cette longue montée réveille de nouvelles douleurs : ce sont les stations du Calvaire. Ici on heurte les débris du convoi pillé par les Arabes, plus loin les ossemens blanchis des Français décapités semblent avertir les chrétiens du sort qui peut les attendre de nouveau ; mais voici le lieu où Changarnier donna aux musulmans une si rude leçon :

Hic Dolopum manus, hic sævus pugnabat Achilles.

Les hauteurs se couvrent de milliers de cavaliers : les uns attaquent l’arrière-garde ; les autres se groupent, immobiles, sur les divers étages de montagnes, comme des spectateurs sur les gradins d’un vaste cirque.

Au fond de l’arène, Constantine semble une fourmilière en proie à une agitation fébrile. Une population nombreuse couvre les places, les remparts et les toits, se serre autour d’immenses drapeaux rouges ornés de divers emblèmes, et accompagne de ses cris de guerre le bruit de ses canons. Les Turcs seuls défendent les approches de la place en avant d’El-Kantara. La brigade du duc de