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si on peut l’appeler ainsi est libre, et les autres voitures suivent, aidées par le même dévoûment, et après quatorze heures d’un travail herculéen le convoi qui portait les clés de Constantine est en sûreté derrière le Coudiat-Aty.

Le siège entrait dans une nouvelle phase : c’est à effectuer ou empêcher l’ouverture de la brèche que vont tendre tous les efforts.

Pendant la nuit, les assiégeans avaient recommencé à creuser dans le roc de la batterie de Nemours, placée en face de l’isthme en terre qui rattache la montagne de Coudiat-Aty à l’excroissance de granit sur laquelle est bâtie Constantine. Sur la portion la plus saillante de cette courtine sans fossés et sans glacis, les flanquemens sont faibles, et le mur est découvert jusqu’au pied. En le masquant, Ben-Aïssa eût cru l’affaiblir, car les Arabes, comme les enfans, jugent seulement de la puissance d’une fortification d’après la première impression qu’elle leur cause; mais il savait que ce serait là le point d’attaque, et il avait couronné le rempart d’une grande batterie casematée à onze embrasures, toutes armées de pièces de bronze et entrecoupées de créneaux réguliers. C’est à l’angle de cette batterie, limitée à gauche par une maison casematée avec deux embrasures et cinq autres plus loin, et flanquée à droite par la grande caserne à trois étages des janissaires, que le général Vallée a reconnu le seul point où l’on puisse essayer une brèche.

La construction de la batterie de Nemours à 500 mètres de ce formidable dispositif de défense, sans aucune communication couverte en arrière, et sous le feu plongeant et non combattu de la place, était déjà une œuvre hardie et difficile. Le général Vallée tenta plus encore : sans attendre l’expérience du tir, dont il craignait que l’effet, à cette distance, ne fût trop lent sur une maçonnerie compacte et terrassée, il résolut de rapprocher plus tard les canons destinés à battre en brèche.

L’emplacement de la nouvelle batterie fut reconnu en plein jour par les capitaines Borel et Lebœuf. Ces braves officiers, miraculeusement épargnés par les balles arabes, le déterminèrent à 150 mètres de la muraille, à l’endroit où le prolongement de l’axe de la batterie de Nemours rencontrait un ravin parallèle au rempart, descendant à droite jusqu’au Bardo, et pouvant servir à protéger les travaux.

Aller à découvert et au premier vol, sans approches régulières, sur un terrain en contrescarpe, se planter à portée de pistolet d’un front dont les feux sont intacts, c’est l’entreprise la plus téméraire de la guerre de siège. Elle était commandée ici par la nécessité de gagner du temps, car maintenant ce ne sont plus les jours, ce sont les heures qui sont comptées, et cette nécessité, plus encore que le