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rempart les travaux du génie, occupé, sous la vigoureuse impulsion du général de Fleury, à convertir en parallèle le ravin qui mène du Bardo à la nouvelle batterie. Le terrain ne permet pas de s’enfoncer, et l’on chemine tantôt à la sape volante, tantôt à la sape pleine, avec des sacs de terre que l’on a passé la journée à remplir. Les sapeurs ne répondent pas à la mousqueterie, qui incommode vivement la tête de sape ; ils se laissent tuer sans riposter, car se défendre eût été retarder les travaux, et le moindre retard pouvait devenir funeste.

La nuit continue à être agitée ; la faiblesse de l’effectif condamne à ne pas donner un moment de repos aux soldats, épuisés par les fatigues du jour et l’insomnie des nuits, obligés de se multiplier, comme des comparses d’opéra, pour suffire à toutes les exigences d’une position si pressée. Tout est en mouvement à la fois pour élever et armer les quatre batteries de Coudiat-Aty et pour retrancher le ravin du Bardo. L’ennemi dirige sur ce point un feu qui, pour être meurtrier, n’a pas même besoin d’être ajusté. L’artillerie française n’y répond pas, elle doit ne tirer qu’à coup sûr : chaque boulet est un trésor pour l’armée, car c’est du temps, et le temps, c’est la victoire ; mais les Arabes du dehors ne s’expliquent la cessation du feu et le bruit des voitures apportant l’armement de Coudiat-Aty que comme des préparatifs de départ. Déjà ils croient tenir leur proie ; ils montent à cheval, galopent dans les ténèbres autour des avant-postes comme des sauvages qui dansent autour de leurs victimes, et exhalent leur joie féroce par des cris aigus et d’impuissantes criailleries contre les grand’ gardes.

Au jour, la garnison a réparé ses défenses, car Ben-Aïssa a compris que la journée du 11 allait être décisive, et les Français ne sont point encore prêts à commencer le tir en brèche. La nouvelle batterie n’est point encore élevée, la dureté du roc de la batterie de Nemours en a retardé l’armement ; les sacs à terre ont manqué pour les autres batteries, dont les parapets ont été faits en partie avec des pierres et des briques. La perplexité des chefs de l’armée s’accroît de moment en moment, car la limite du séjour possible devant la place, marquée par l’état des munitions de bouche et de guerre, approche avec une effrayante rapidité ; mais la conscience de cette situation inspire à chacun un paroxysme d’efforts héroïques.

Le capitaine d’artillerie Caffort amène en plein jour les pièces de la batterie de Nemours ; l’attaque de Coudiat-Aty ouvre aussitôt son feu. À neuf heures et demie du matin, les batteries no 4, 6 et 8 font converger leurs feux sur le point marqué pour la brèche. Les obusiers français, si remarquables par leur extrême justesse, élargissent promptement les embrasures des casemates, dans lesquelles les projectiles creux font de terribles ravages et démontent l’artillerie musulmane. Le tir des bombes et des fusées, qui n’a point endom-