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magé cette ville incombustible, est concentré en arrière du rempart pour empêcher les assiégés de s’y ménager un réduit. A midi, le feu de la place était déjà extrêmement ralenti. Le général Valée donna l’ordre de commencer le tir en brèche. Les trois pièces de 24 et la pièce de 16 tirent à 8 pieds au-dessous des embrasures casematées de la grande batterie, les obusiers fouillant le pied de la muraille. Les premiers boulets qui vont frapper ce mur, bâti en énormes pierres de granit noir blanchi à l’extérieur, cimenté par des siècles et adossé à d’anciennes constructions romaines, y laissent à peine l’empreinte d’une balle sur une plaque de métal. Il faut cependant non-seulement faire brèche, mais faire brèche en 600 coups, ou périr et périr sans gloire. L’armée, silencieuse et inquiète, suit avec angoisse les progrès de ce travail, duquel dépend son destin.

Enfin à trois heures, un coup d’obusier pointé par le général Valée lui-même détermine le premier éboulement. La confiance renaît et s’annonce par les cris de joie des soldats, qui ne doutent plus de leur succès, puisque Constantine est accessible à leurs baïonnettes. Pour la première fois un morne silence règne dans cette ville livide, éclairée par les pâles rayons du soleil d’automne, qui vient de paraître.

Cependant, si la défense matérielle est atteinte, le moral des musulmans reste entier et mieux trempé que jamais. Pendant le tir en brèche, plusieurs milliers de Kabyles, accourus de leurs montagnes pour assister à l’issue du drame qui tenait toute l’Algérie en suspens, ont remplacé les Turcs, las de leurs inutiles sorties. Ils s’élancent avec vigueur sur Sidi-Mécid, et soutiennent vaillamment la charge à la baïonnette du 17e léger, qui les fait bientôt reculer et les poursuit jusque sous les murs de la place à travers les cactus et les aloès, plantés régulièrement comme des vignes.

Touché de la persévérance de cette défense si vivace, le général de Damrémont, naturellement ennemi des violences de la guerre, voulut, en leur proposant une capitulation, offrir aux Constantinois une dernière chance d’éviter les extrémités d’un assaut. Un jeune soldat du bataillon d’infanterie turque se présenta volontairement pour remplir le périlleux office de parlementaire. Il arrive au milieu des coups de fusil, un drapeau blanc à la main, jusqu’au pied du rempart : on lui jette un panier au bout d’une corde; il s’y blottit, on le hisse dans la ville, et il est conduit devant le caïd-ed-dar. « Si les chrétiens manquent de poudre, lui dit Bel-Bedjaoui, nous leur en enverrons; s’ils n’ont plus de biscuit, nous partagerons le nôtre avec eux, mais, tant qu’un de nous sera vivant, ils ne prendront pas Constantine. »

« — Voilà de braves gens, s’écria le général de Damrémont en