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défenseurs sont plus nombreux que les assaillans. De faibles têtes de colonnes, guidées par les officiers et les sous-officiers du génie, cheminent dans ce dédale de ruelles tortueuses et infectes, dans les corridors voûtés à mille issues dont se compose Constantine. Munis de haches et d’échelles faites avec les côtés démontés des voitures, ils assiègent une à une les maisons isolées, sans terrasses, et séparées par de petites cours favorables à la défense, et sautent par les toits dans celles qu’ils n’ont pu prendre par la porte. Le dernier effort considérable eut lieu contre la caserne des janissaires, grand bâtiment crénelé, à trois étages, bâti sur le rempart, à droite de la brèche, où les Turcs et les Kabyles se défendirent avec acharnement.

Mais ces différentes attaques manquaient d’une impulsion unique et régulière et perdaient de leur ensemble à mesure que leur base allait s’élargissant. Le général Rulhières, envoyé pour relier le réseau des têtes de colonnes isolées, cherche surtout à pousser l’attaque de gauche, de manière à tourner toute la défense de la ville en la prenant à revers. Ce mouvement jette le découragement dans la population effrayée, qui se précipite hors de la ville pour fuir par le côté gauche de Coudiat-Aty, avant que les Français, déjà parvenus aux portes de Bal-el-Djebia et Bab-el-Djedid, ne leur aient coupé cette dernière retraite.

Des hommes sans armes, avec un papier blanc au bout d’un bâton, se présentent au général Rulhières, qui dirige les tirailleurs les plus avancés, et lui demandent la paix. Le général monte aussitôt jusqu’à la casbah pour empêcher la garnison de s’y défendre comme dans une citadelle malgré la soumission des habitans. La résistance est brisée ; les deux cadis sont grièvement blessés ; le caïd-ed-dar se brûle la cervelle, fidèle à son serment de ne pas assister vivant à la prise de Constantine. Le fils de Ben-Aïssa, qui a reçu quatre blessures sur la brèche, entraîne hors de la ville son père accablé de douleur ; les débris des canonniers et de la milice le suivent. Les plus résolus des défenseurs, ceux qui jusqu’au bout avaient cru au succès et n’avaient éloigné ni leurs femmes ni leurs enfans, se trouvant acculés à la casbah, et ne comptant point sur une générosité dont ils eussent été incapables, cherchent à descendre par des cordes du haut des escarpemens verticaux qui surmontent de 400 pieds les abîmes ténébreux où coule le Rummel. Les derniers poussent les premiers, qui roulent dans le gouffre ; une horrible cascade humaine se forme, et plus de 200 cadavres s’aplatissent sur le roc, laissant des lambeaux de chair à toutes les aspérités intermédiaires.

A neuf heures du matin, après une furieuse mêlée de deux heures.