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Constantine est prise; les soldats couronnent tous les édifices, et, se tournant vers l’armée qui les admire, ils annoncent leur triomphe par le cri unanimement répété de vive le roi! Le quartier-général s’établit au palais du bey, séjour étincelant de toutes les féeries des Mille et une Nuits. Achmed en a retiré son trésor, mais il y a oublié son harem, destiné, selon les usages de l’Orient, où la femme n’est qu’une chose, à devenir le prix de la victoire. A la vue du drapeau tricolore arboré sur sa demeure, le pusillanime bey de Constantine verse de grosses larmes, et fuit en poussant des imprécations. Il est détrôné, car il ne trouvera plus que des ennemis et point de refuge dans cette population nomade contre laquelle les murs de Constantine servaient d’asile à sa tyrannie.

Les principaux habitans, se rendant à discrétion, n’implorèrent point en vain la générosité française. Le pillage, cette conséquence habituelle et en quelque sorte légale de l’assaut, fut promptement réprimé par les officiers, qui avaient acheté cher le droit d’être obéis, car 57 d’entre eux avaient arrosé de leur sang et 23 avaient payé de leur vie une gloire qui demeura pure de tout excès. Cette consommation d’officiers, proportionnellement plus forte que dans toute autre armée, antique et glorieuse coutume qui se perpétue dans l’armée française, est un des secrets de sa puissance et un des gages de son avenir, car, dans l’état moral de toutes les populations européennes, à la première guerre la victoire restera aux troupes qui feront le plus grand sacrifice d’officiers.

A la voix de l’honneur et de la discipline, on vit les soldats, qui passaient du dernier degré de la misère aux brillantes séductions du luxe oriental, s’arrêter, tendre la main aux vaincus, et adopter les enfans que leurs baïonnettes avaient faits orphelins. Un tel triomphe, plus rare dans l’histoire et plus glorieux encore que l’assaut, ne s’obtient qu’avec des troupes vraiment nationales, dont l’ardeur, puisée dans le zèle du service de la patrie et non dans l’ivresse de la poudre et du sang, cesse avec le combat; un tel triomphe est possible seulement avec des troupes qui ne font pas métier de la guerre, et trouvent dans l’estime de leur pays et dans l’approbation de leurs chefs la récompense que les soldats mercenaires cherchent dans le butin. C’est aussi là un vivant éloge de la discipline française, toujours puissante par la cause même qui la fait critiquer dans les pays où on ne peut ni l’imiter ni la comprendre, par la solidarité des officiers, étrangers à tout esprit de caste, et des soldats, qui ne sont ni leurs esclaves ni leurs égaux, parce qu’enfin l’officier est pour le soldat un frère aîné au combat, un père au bivac et à la caserne, un guide et un ami partout et toujours.

C’est à cette constitution toute spéciale que l’armée française