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de l’assaut, ce catafalque en sacs à terre et en pierres de revêtement, élevé entre la brèche, où flottait le drapeau en deuil du 47e et le minaret de Coudiat-Aty, qui reste debout pour attester l’adresse des canonniers : simple et touchant monument gardé par le 11e régiment, dont le général Damrémont avait été colonel, et autour duquel les troupes, déguenillées par suite des privations de la guerre, se réunirent pour rendre les derniers honneurs aux braves dont la place était vide dans les rangs, mais dont la mémoire vivait dans tous les cœurs.

Dès que la prise de Constantine eut cessé d’être un but pour devenir un résultat, d’autres embarras surgirent à la place de ceux auxquels remédiait cette conquête, car il est dans la nécessité de l’homme de se heurter toujours à de nouveaux obstacles, au-delà de ceux qu’il a déjà vaincus, et, pour lui rappeler son impuissance, la Providence a souvent voulu qu’il ne trouvât qu’une source de souffrances dans la réalisation de ses vœux.

Depuis que cette Constantine si désirée était aux Français, il semblait qu’il leur fut également impossible d’y rester et de la quitter. Comment y vivre sans cavalerie pour aller chercher dans un pays inconnu la viande dont on manquait, sans transports pour faire jusqu’à Medjez-Amar un convoi de retour, déjà impossible avant que l’armée eût perdu ses chevaux et se fût encombrée et diminuée de 1,400 blessés ou malades? Comment garder Constantine, si l’emploi de la force doit y créer une situation semblable à celle dont Alger, situé au bord de la mer, ne peut se dégager? Et cependant la difficulté de prendre cette place obligeait à la conserver. Comment revenir à Bône après l’avoir évacuée? L’abandon de Constantine eût été le signal de l’insurrection de toute la province, et ni le matériel ni les blessés n’eussent achevé une retraite commencée sous de tels auspices.

L’habileté du général Valée tira l’armée de ce cercle vicieux. L’art de se servir des vaincus est une grande qualité à la guerre. Par le respect de cette religion qui s’était montrée si puissante sur eux, par l’intelligence de leurs usages et de leurs besoins, il obtint des indigènes ce que la politique donne plus souvent que la victoire en Afrique, des vivres.

Dès le lendemain de l’assaut, la prière se fit de nouveau, non plus l’hymne passionné et menaçant du soldat musulman qui passe par la mosquée pour aller au combat et de là en paradis, mais la prière silencieuse et résignée du vaincu apaisé. Des chefs furent promptement et heureusement choisis pour substituer, sans un interrègne qui eût fondé l’anarchie, un pouvoir régulier au gouvernement détruit. Ces sages et prévoyantes mesures désarmèrent la po-