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trinale suffisante pour qu’il soit possible d’y voir soit le germe d’un dogme nouveau, soit même le simple complément de l’enseignement du Christ. Le véritable ouvrier de cette œuvre, c’est Paul. Celui-ci ne fut pas seulement l’apôtre des gentils, en ce qu’il leur porta le premier la nouvelle doctrine, affranchie des proscriptions de l’ancienne loi; il mérita d’être appelé le second fondateur du christianisme, dont il constitua et formula réellement le dogme en tout ce qu’il contient d’essentiel. S’il entrait dans le plan de ce travail d’exposer la doctrine contenue dans les épîtres, il nous serait facile de justifier ce titre en faisant voir comment la plupart des grands dogmes du christianisme y ont leur principe et souvent même leur formule. Il nous suffira de dire qu’à partir de Paul la tradition chrétienne est devenue une forte et originale doctrine qu’on ne peut plus confondre ni avec l’ancienne loi ni avec cette espèce de morale universelle résumée dans le sermon sur la montagne, qui pourrait s’appeler la morale même de la conscience humaine, tant il serait facile d’en retrouver les élémens dans ce qu’un historien contemporain a eu l’heureuse idée de nommer la Bible de l’humanité! L’enseignement de Paul fait entrer, fait descendre, si l’on veut, la sagesse du Christ dans les formules d’une théologie qui servira désormais de texte aux plus subtiles discussions. Il lui fait donc perdre quelque chose de sa haute généralité et de son adorable sérénité; mais à ce prix il lui communique le caractère et la vertu d’un dogme. Et ce dogme, il l’a si nettement conçu, si solidement construit, que les pères et les docteurs des temps postérieurs n’ont rien trouvé à y changer, ni quant au fond des doctrines, ni quant à l’enchaînement logique des formules. On a pu enrichir la théologie chrétienne d’une nouvelle doctrine, plus élevée et plus profonde, dont le symbole de Nicée sera la formule; on n’a pas touché à la doctrine de Paul. Et quand la réforme, qui ne goûtait que médiocrement la théologie trop peu unitaire pour elle du grand symbole, voudra en revenir au christianisme primitif, c’est dans les épîtres de Paul qu’elle s’établira, comme dans le fort même de la pensée chrétienne. C’est que cette doctrine, aussi logique que pratique, était une tout autre discipline pour les esprits et les âmes que les mystiques monologues du livre de l’Imitation ou que la transcendante théologie de l’évangéliste Jean.

Lorsqu’on rapproche, ainsi que le fait M. Renan, la laide et chétive personne de ce docteur juif, élevé dans les écoles de la vieille loi et ayant toutes les passions, tous les instincts de sa race, de l’idéale figure du grand prophète qui semble n’avoir conservé aucune des misères de l’humanité, l’idée d’une déchéance de la pensée religieuse vient naturellement à l’esprit. Et si l’on ajoute à ce rapprochement tout personnel la comparaison des doctrines, et qu’à celle de Jésus,