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était bien faite pour attirer à la nouvelle religion des philosophes et des théologiens qui devaient y retrouver leur propre tradition. Sans aller jusqu’à se perdre dans le néoplatonisme, comme l’eussent fait quelques pères trop alexandrins, le christianisme des Clément, des Augustin, des Athanase, laissait pénétrer par l’Évangile de saint Jean les idées platoniciennes dans le nouveau dogme, de manière à absorber dans son symbole tout ce qui pouvait, à la rigueur et au prix de grandes subtilités théologiques, se concilier avec la tradition chrétienne. C’était une transformation bien grave et bien radicale, puisque l’église tout évangélique de Jérusalem n’a jamais pu l’accepter, et que les Juifs, fidèles gardiens de la tradition hébraïque, y ont vu une sorte de retour au paganisme par l’altération profonde du dogme de l’unité de Dieu; mais le christianisme naissant ne pouvait aspirer à conquérir le monde sans s’assimiler ce que la pensée humaine avait conçu de plus élevé et de plus profond sur les problèmes théologiques. C’est une vue bien fausse de la réalité historique que celle d’une certaine théologie professant avec Pascal que le christianisme n’est devenu le maître de l’humanité que parce qu’il l’a en tout contredite. L’introduction dans une certaine mesure des doctrines gnostiques et platoniciennes est un des exemples frappans de la méthode contraire.

On a fait beaucoup de recherches et d’hypothèses sur l’origine de cette transformation. — Naturellement les théologiens la font remonter à fa Bible, ne voulant voir dans tous ces changemens que le développement normal d’une simple et même tradition fondée sur la double révélation de Moïse et de Jésus. Comme leur siège est toujours fait d’avance, ils ne se laissent point déconcerter dans leur explication par l’analogie, l’identité même parfois des formules, et par la culture philosophique des pères qui ont élaboré le dogme formulé par le concile de Nicée. Les philosophes expliquent la transformation de la théologie chrétienne en la rattachant à Platon et aux écoles platoniciennes. Un savant critique de notre temps, Bunsen, a cherché, entre ces deux hypothèses contraires, une solution ingénieuse en imaginant pour Jésus, comme on l’avait fait pour Platon, une espèce d’enseignement ésotérique qui n’aurait trouvé sa véritable expression que dans le quatrième Évangile[1] : hypothèse bien peu conforme à tout ce que les synoptiques nous apprennent de la manière toute simple et toute populaire de vivre et d’enseigner qui paraît propre à Jésus. Se figure-t-on le nouveau messie tenant, indépendamment de ses prédications aux foules et de ses entretiens familiers avec ses disciples, une école de profonde et

  1. Ed. Bunsen, The hidden Wisdom of Christ, London 1865. Voyez l’article remarquable de M. Émile Burnouf dans la Revue du 1er décembre 1865.