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spirait que celui de Jésus ou de Paul; mais c’était encore le souffle vivifiant de la pensée chrétienne. Quand cette pensée tomba dans la barbarie du moyen âge, elle ne trouva plus d’autre méthode d’exposition et d’enseignement que le péripatétisme. On sait ce qu’en fit le génie d’Aristote entre les mains de ses interprètes de la Sorbonne et des universités du moyen âge. Le nom de scolastique dit tout en fait de distinctions, de divisions et de discussions verbales. Si des docteurs tels que saint Anselme et saint Thomas ont pu maintenir la pensée chrétienne dans sa haute portée, c’est que tous deux avaient un esprit assez élevé et assez profond pour comprendre ce que dans le génie de Platon et d’Aristote il y a de plus assimlable à cette pensée. Encore peut-on se demander si la théologie trop aristotélique de saint Thomas eût été du goût de Paul, de Jean et des pères de l’église. Ne parlons pas du Christ lui-même, qui n’a jamais laissé échapper l’occasion de montrer son antipathie pour toute espèce de scolastique. S’il n’eût pas chassé de son église les honnêtes docteurs en Sorbonne, comme il l’avait fait pour les marchands du temple, il est à croire que l’auteur du sermon sur la montagne et des paraboles de l’Évangile n’eût pas mis le pied dans ces sortes d’écoles, où l’esprit de son enseignement ne s’était guère plus conservé que la lettre.

Certes il y a loin de la doctrine des Évangiles et des épîtres à la théologie scolastique; mais de la primitive église à l’église catholique gouvernée par la cour de Rome il y a peut-être plus loin encore. En lisant les historiens du christianisme, et particulièrement M. Renan, on rêve volontiers de ces heureuses et charmantes petites sociétés chrétiennes, d’une allure si libre, d’une foi si active, d’une pratique si simple, en comparaison de la forte et minutieuse discipline, de la muette et passive obéissance, qui caractérisent le gouvernement de nos grandes sociétés catholiques du moyen âge. La vérité est que le christianisme naissant n’a pas plus d’église organisée que de dogme formulé. Il subit la loi de toutes les choses qui sont de ce monde ou qui y vivent; il lui fallut se former avant de se développer, et se développer avant de s’organiser. La bienheureuse anarchie des premières sociétés chrétiennes peut être enviée par les croyans libéraux comme l’idéal des sociétés religieuses dans la plus large acception du mot; mais à ce moment cet état religieux fut bien plutôt l’effet d’une nécessité historique provisoire que d’une théorie bien arrêtée sur le libre essor des consciences religieuses. Aussitôt que la société chrétienne eut pris quelque développement et multiplié le nombre de ses églises, elle éprouva le besoin d’une discipline plus précise et d’une sorte de gouvernement; central. Quand le christianisme fut devenu sous Constantin