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Nous voyons bien le christianisme libéral redoubler d’efforts et étendre ses conquêtes; nous le voyons en Amérique, avec Channing, Parker et leurs disciples, entraîner des foules et fonder des églises nouvelles; nous le voyons en Europe rayonner dans tous les grands centres de la vie religieuse, à Paris, à Strasbourg, à Genève, la ville de Calvin, à Londres, à Berlin, à Florence. Nous ne serions pas surpris pourtant si ce mouvement ne descendait pas de la haute et libre société des fils de l’esprit dans les profondeurs du monde religieux, et si l’immense majorité des chrétiens catholiques ou protestans gardait les formules de l’orthodoxie, tout en s’éclairant des lumières de la science et en se pénétrant des sentimens de la conscience moderne.

Il serait téméraire à nous de scruter les consciences catholiques et chrétiennes de notre temps, de prétendre y voir plus clair que les croyans eux-mêmes; mais il nous semble que la foi n’y est plus tout d’une pièce comme dans le passé. La foi de nos pères au moyen âge et même aux premiers siècles des temps modernes embrassait dans une seule et même affirmation, invincible et absolue, tous les articles du dogme; rien alors n’y blessait la conscience, n’y révoltait la raison. Aujourd’hui il se fait, comme à son insu, une distinction, sinon une séparation, au fond de la conscience religieuse. On accepte tout ce qu’impose l’autorité de l’église; mais on fait réellement deux parts du dépôt de la tradition : l’une qui comprend tout ce qui ne répond plus ni à la raison ni à la science ni à la conscience de notre temps, l’autre dont l’éternelle et universelle vérité ne sera jamais en retard des progrès de la civilisation moderne. Certes nul ne peut se dire catholique s’il ne professe sincèrement la croyance à l’éternité des peines, à la résurrection des corps, au péché originel, au mystère d’un Dieu triple et un, et même à beaucoup d’autres dogmes de moindre importance; mais combien de croyans attachent à ces choses la vraie foi, la foi du sentiment? On y croit parce que c’est la loi de l’église; mais le cœur du chrétien est ailleurs, il est à ces idées de pureté, de justice, de fraternité, d’amour, que respire l’enseignement évangélique, et que le croyant retrouve dans les plus nouvelles inspirations de la conscience moderne. C’est sinon la seule, du moins la foi vraiment vivante des âmes religieuses de notre temps; l’autre n’est qu’une foi de tradition qu’on affirme, qu’on affirmera peut-être toujours, mais qu’on ne sent pas vivre dans son cœur.

Voilà de ces révolutions que l’on ne comprend point à Rome, pas plus aujourd’hui que du temps de Luther, que l’on ne peut comprendre, parce Rome est le siège du romantisme plutôt que du christianisme. Le mot est de l’évêque d’Orléans, et il a encore plus de