Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/873

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

furent couronnées de succès. L’enseignement supérieur, largement distribué, répandit en Belgique les idées modernes. C’est dans les écoles de Guillaume que se formèrent ces hommes d’élite qui en 1830 formulèrent la constitution démocratique dont le pays s’enorgueillit encore aujourd’hui. Le nombre des étudians augmentait aussi constamment : en 1818, la première année après la réorganisation des universités, il n’était que de 679; en 1829, il s’élevait à 1,620[1].

Parmi les réformes que l’on voulait arracher à l’obstination bien intentionnée, mais mal entendue du roi Guillaume, se trouvait la liberté de l’enseignement. On entendait par là le droit d’étudier où l’on voulait et celui d’ouvrir des écoles à côté de celles de l’état. Nul ne songeait alors à fonder des universités. Au lendemain de la révolution de 1830, l’un des premiers actes du gouvernement provisoire fut de proclamer la liberté de l’enseignement dans des termes qui devinrent ensuite l’article 17 de la constitution : « l’enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite. » Ces quelques mots, si brefs, mais d’un sens si clair et si absolu, allaient bientôt amener une situation sans précédens en Europe. La révolution de 1830 ne se contenta pas d’avoir renversé un trône; c’étaient les bases de l’ordre politique qu’elle allait renouveler complètement. Il faut dire que les libertés se tiennent par un lien si intime qu’il est difficile d’en accorder une sans les accorder toutes. Comment à un peuple qui va jouir de la liberté des cultes, de la presse et de l’association, refuser celle de l’enseignement? Peut-il se concevoir un droit plus naturel, plus inhérent à la qualité d’être libre que celui d’instruire ses semblables, de leur communiquer ses idées, ses lumières? Pour qui a joui de cette faculté, il semble incroyable que les habitans d’un pays voisin puissent en être privés.

En proclamant la liberté, l’état doit-il s’abstenir d’entretenir lui-même des établissemens d’instruction publique? Certain parti et certains économistes l’ont soutenu; mais le congrès belge de 1830 ne l’a pas pensé, et le même article 17, qui consacre la liberté illimitée et sans nulle restriction, porte dans le paragraphe suivant : « L’instruction publique donnée aux frais de l’état est également réglée par la loi. » Le congrès a eu raison. Les nations, pour subsister, pour progresser surtout, ont besoin que l’instruction, à ses différens degrés, soit répandue dans toutes les classes de la société. Or il est démontré par l’expérience qu’en Europe, jusqu’à présent,

  1. Je ne crois pas qu’en Belgique personne conteste tout ce que le pays a dû au roi dont il a été amené à renverser le trône. A la fête qui eut lieu le 3 novembre 1868, pour célébrer le cinquantième anniversaire de la fondation de l’université de Liège, le professeur chargé d’en retracer l’histoire, M. Nypels, a pu dire avec l’approbation unanime de ses auditeurs : « Honneur au monarque, ami des lettres et des sciences, qui réorganisa l’enseignement supérieur en Belgique ! »