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nommer que des hommes sans opinion, il ne nommerait que des hommes qui ne pensent point, mais il doit les choisir pour leurs connaissances. Le gouvernement respectera dans le professeur la liberté du citoyen; le professeur, les exigences d’un enseignement fait pour tous et rétribué par tous[1]. C’est ainsi que l’université officielle aura sa place marquée et son rôle nécessaire entre les institutions créées par les partis.

La liberté est un droit, car il doit être permis à tout citoyen de communiquer le résultat de ses travaux. Elle est aussi un bien, car par la concurrence elle hâte la marche en avant; mais en Europe elle serait funeste, si elle avait pour conséquence d’anéantir l’enseignement de l’état. Cela fut si bien compris en Belgique dès 1830, qu’on inséra dans l’article 17 de la constitution la phrase que nous transcrivions plus haut: «l’instruction publique donnée aux frais de l’état sera réglée par la loi. » Seulement les catholiques ne tardèrent pas à chercher le moyen d’enlever à ce paragraphe toute valeur pratique. Un de leurs chefs les plus éloquens et les plus habiles, M. Dechamps, soutint que le texte constitutionnel n’impose pas à l’état l’obligation d’enseigner; ce texte signifierait seulement que, si l’état enseigne, la loi doit régler l’enseignement. « L’état, disait M. Dechamps, n’a jamais ni pouvoir ni mission d’enseigner, parce que, n’ayant jamais été le représentant d’une doctrine, il a toujours manqué de la première condition pour enseigner, et à plus forte raison n’a-t-il point ce pouvoir aujourd’hui que la division des croyances rend sa neutralité obligée, dans le domaine des idées et des convictions. » M. Dechamps en concluait que, si les établissemens libres suffisent aux besoins de la population, l’état n’a plus à s’ingérer dans l’enseignement. Le rapport où l’orateur catholique exposait cette manière de voir provoqua dans la chambre et dans tout le pays une si vive émotion, que nul n’osa déposer une proposition formelle; mais le principe n’a pas été abandonné, il est devenu un axiome et un mot d’ordre pour tout le parti catholique. Ce n’est que la conséquence rigoureuse de son système.


II.

Un autre incident vint soulever une question qui se rattache intimement à la liberté de l’enseignement et aussi à la séparation de

  1. La limite est difficile à tracer. Le tact et le respect de la pensée d’autrui doivent y suffire. En Belgique, même les ministères catholiques n’ont pas dénié aux professeurs le droit d’exprimer toute leur pensée dans leurs écrits. Un professeur de l’université de Gand, M. Laurent, avait publié un livre d’histoire dans lequel il montrait les iniquités et les malheurs produits par certains dogmes catholiques. Sa destination fut réclamée très énergiquement, mais le ministère, quoiqu’il appartint à l’opinion catholique, sut respecter la liberté de la science.