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la fortune de leurs cliens, c’est une mesure de garantie sociale et de police préventive qui est exclusivement de la compétence de l’état. Si la précaution est nécessaire, l’état seul a le droit et le devoir de la rendre efficace. Il ne peut se décharger de ce soin sur des établissemens particuliers, puisque c’est le résultat de l’enseignement de ces institutions qu’il s’agit de contrôler. L’état veut avoir la garantie que les universités privées forment des médecins et des avocats capables ou tout au moins non dangereux par incapacité, et ce seraient ces universités elles-mêmes qui seraient chargées de le constater! Ce serait évidemment rendre la garantie illusoire, et alors autant l’abolir. La loi impose certaines précautions aux fabriques de poudre; quelle efficacité aurait cette loi, si les fabricans de poudre étaient eux-mêmes chargés d’en surveiller l’exécution? Les examens sont incontestablement une mesure de haute police : la police, le soin de la sécurité publique, est du ressort de l’état; donc la désignation des examinateurs est une fonction exclusivement gouvernementale. Quand les institutions privées réclament au nom de la liberté le droit d’intervenir dans la formation des jurys d’examen, elles confondent deux choses très distinctes. La liberté existe quand tous, — individus ou associations, — peuvent ouvrir des cours, ériger des chaires, organiser des facultés et enseigner ce qu’ils veulent, sans nulle mesure préventive ni restrictions autres que celles du code pénal ; mais de cette liberté ne résulte point du tout le droit pour ces institutions privées de décider ou de contribuer à décider si leurs élèves sont capables d’être sans danger des avocats ou des médecins. Si un certain contrôle est indispensable, plus les institutions libres seront nombreuses, diverses dans leurs méthodes et dans leur enseignement, moins on pourra leur abandonner la mission d’exercer ce contrôle, et plus l’état sera tenu de se la réserver à lui-même.

Il faut avouer que ce sont là des raisons très fortes, et elles me paraissent irréfutables en tant qu’elles s’appliquent à un examen final, professionnel, qui a pour but de donner à la société les garanties dont elle croit encore avoir besoin; mais, quand il s’agit des grades scientifiques exigés à chaque pas que l’étudiant fait dans ses études, les objections s’élèvent en foule. On peut dire d’abord que, si l’état veut contrôler la marche des hautes études scientifiques, il sort de son domaine, ensuite que c’est établir la suprématie d’une doctrine officielle, car les opinions et les livres des examinateurs seront nécessairement suivis par le plus grand nombre des étudians. La domination absolue du programme est rétablie. Les institutions libres devront se conformer au moule officiel, sinon leurs élèves échoueront aux examens. Impossible d’intervertir l’ordre des matières ou d’en approfondir une, sauf à en traiter une autre comme secondaire.