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des autres : c’étaient de petites sociétés enfermées dans les étroites limites d’une ville ou d’un district. Leur caractère, dès l’origine, fut multiple. Elles étaient à la fois des corps de résistance ou plutôt d’agression, ayant pour but de provoquer la hausse des salaires, la diminution des heures de travail et toutes les autres améliorations souhaitées par l’ouvrier. En même temps, elles faisaient pour la plupart fonction de sociétés de secours mutuels. Cette double attribution est restée le trait distinctif de ces associations. C’est grâce à cet appât de subventions en cas de chômage ou de maladies qu’un nombre immense d’ouvriers vinrent s’enrégimenter dans ces corporations. La guerre entre le capital et le travail, qui paraît s’envenimer de jour en jour, leur valut aussi un très gros contingent d’adhérens. Sous ces influences, elles n’ont cessé de se multiplier, de croître et de s’affermir. Elles sont aujourd’hui au nombre de 2,000 ; elles forment un personnel d’environ 800,000 hommes ; leur budget annuel est évalué à 1 million de livres sterling (25 millions de francs). Il n’est pas une industrie, si petite qu’elle soit, si élevée ou abaissée sur l’échelle des arts, qui ne compte dans son sein une ou plusieurs trade’s unions. Sur la liste immense de ces associations, l’on voit figurer des métiers dont le nom et l’existence étaient auparavant inconnus de la plupart des hommes. À supposer qu’une fatalité inexorable dût faire un jour disparaître de la terre tous les monumens de notre civilisation, il suffirait de retrouver la nomenclature des unions anglaises pour se former une idée complète de l’infinie variété de nos industries et de notre excessive division du travail.

Il y a dans le développement de l’unionisme deux phases différentes : l’une est caractérisée par le morcellement, l’autre par la concentration de ces sociétés ouvrières. À mesure que se perfectionnaient les voies de communication, que les idées et les hommes sur tous les points du territoire se mêlaient davantage, les sociétés voisines fusionnaient, des groupes plus considérables se constituaient, et par ce système d’agrégation continue l’on voyait s’organiser peu à peu de vastes fédérations d’ouvriers d’un même métier. Les grandes unions anglaises ont ainsi une origine récente ; aucune n’a été créée de toutes pièces ou par voie de rayonnement, toutes sont nées par la réunion de petits groupes préexistans. On voit combien a été spontané, naturel et progressif l’essor des associations ouvrières en Angleterre. Elles ont été le fruit du temps et des circonstances beaucoup plus que de la réflexion. C’est là un exemple de l’intensité et de la généralité de cette force sociale qui pousse dans notre siècle tous les élémens similaires à se chercher et à s’absorber mutuellement, et qui produit en politique les grandes nationalités,