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LA QUESTION OUVRIÈRE.

en industrie les vastes compagnies anonymes, dans la vie civile ces associations gigantesques de citoyens réunis par l’analogie des occupations, des tendances et des intérêts. Les principales unions anglaises portent dans leur nom même l’indice de ce développement successif ; les plus importantes s’intitulent sociétés fusionnées (amalgamated). Parmi celles-ci, il faut ranger la plus célèbre, mais non la plus nombreuse des trade’s unions, celle des mécaniciens (amalgamated engineers), qui date de 1851 et compte 43 000 membres ; chaque année, elle reçoit 2 000 ou 3 000 adhérens nouveaux. Telle est aussi une association moins grandiose, mais remarquable par son organisation, celle des charpentiers fusionnés (amalgamated carpenters), qui a 8, 261 membres. Les grandes sociétés aspirent continuellement dans leur sein les groupes moins importans ; c’est ainsi que la société des charpentiers fusionnés reçut en une seule année l’adhésion de 2 500 nouveaux frères, ce qui augmenta son effectif d’un quart ; une corporation rivale, les Operative house carpenters, gagna aussi 2 500 membres en un an ; la Friendly society of operative masons fit 4 760 recrues en 1866. Une société toute locale, celle des peintres en bâtiment de Manchester, compte 3 960 membres, dont 1 209 s’affilièrent il y a trois ans. Plus les unions sont puissantes, plus elles exercent d’attraction sur les unions inférieures. On conçoit que la politique et les procédés de ces associations varient en raison de leur grandeur. Aussi importe-t-il de distinguer les sociétés locales, enfermées dans l’enceinte d’une ville, les sociétés provinciales, qui s’étendent à tout un district considérable, et les sociétés nationales ; dont la sphère d’action n’a d’autre limite que celle même du pays. Il est d’autant plus important de ne pas confondre ces trois catégories que les écrivains sans impartialité prennent la tactique de n’en considérer qu’une seule et de masquer les deux autres. Ceux qui veulent faire ressortir les plus mauvais côtés de l’unionisme ne présentent aux yeux que les unions locales, comme celles de Sheffield, déplorables coteries de malfaiteurs, de dupes ou de victimes ; ceux au contraire qui prétendent faire admirer et aimer les trade’s unions insistent uniquement sur les grandes associations nationales, comme celles des mécaniciens ou des charpentiers fusionnés, et décrivent avec détail leur organisation, l’intelligence et la modération de leurs chefs, la discipline et la bonne tenue de leurs affiliés.

Si l’on se formait une idée de la conduite des unions anglaises uniquement sur l’examen de leurs statuts, on ne serait pas éloigné de reconnaître que ces sociétés réalisent l’un des types les plus accomplis du gouvernement de tous par tous. Il n’est pas de constitution, fabriquée de toutes pièces dans la tête d’un philosophe, où de