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plus grandes précautions aient été prises pour prévenir les abus de pouvoir et pour remettre aux mains des intéressés la décision et le contrôle de toutes les affaires importantes. C’est un des points de vue les plus curieux de l’histoire de l’unionisme que l’observation du fonctionnement des institutions démocratiques radicales sans aucun alliage d’esprit aristocratique ou bourgeois. Ceux qui se sont fait un idéal social d’où disparaîtrait toute autorité personnelle qui ne proviendrait point du mandat populaire peuvent contempler les trade’s unions et se complaire à cette vivante image de leurs rêves. C’est surtout dans les petites sociétés locales qu’enferme l’enceinte étroite d’une ville et d’un métier que l’on doit s’attendre à découvrir les fruits naturels et bienfaisans des principes, des mœurs et des traditions démocratiques dans leur pureté originelle. Les corporations de cette catégorie ont un nombre de membres restreint, quelques centaines le plus souvent, trois ou quatre mille au plus. Tous se connaissent, se rencontrent chaque jour à l’ouvrage, sont au courant des affaires qui font l’objet de leur association. Quelle occasion plus belle pour inaugurer ce que l’on appelle le gouvernement direct, et pour le pratiquer avec sincérité et efficacité ! Comment supposer que la majorité n’ait pas le dernier mot dans ces réunions d’amis et de frères, que les fonctions qui sont électives et de courte durée ne présentent pas toutes les garanties de responsabilité véritable, qu’il soit possible à quelques hommes de s’imposer à ces sociétés malgré leur répugnance, de s’y arroger un pouvoir absolu et de s’ériger en césars dans ces imperceptibles républiques ? Et cependant les faits sont là, évidens, inexorables, qui prouvent que dans toutes ces unions inférieures il n’y a ni liberté ni contrôle. Les partisans les plus décidés des associations ouvrières anglaises sont contraints d’en convenir. Nul n’est plus explicite sur ce point que l’ardent apologiste des trade’s unions, M. Thornton. « C’est dans ces unions restreintes, dit-il, qu’on peut voir à l’occasion se manifester la fréquente prédilection du suffrage universel pour l’impérialisme, son inclination à laisser le soin de régler toutes choses à un seul individu. Si nous voulions trouver à quoi ressemblent dans l’antiquité les unions urbaines, il nous faudrait jeter les yeux sur ces petites démocraties de la Grèce primitive qui, par suite apparemment de leur extrême petitesse, dégénérèrent rapidement en aristocraties ou en autocraties. »

Bien des circonstances secondent et perpétuent cette concentration des pouvoirs. Les conditions mêmes qui en théorie semblent à quelques-uns le plus propices au jeu régulier des institutions libres se retournent dans la pratique, et amènent des effets contraires à ceux que l’on se croyait en droit d’attendre. Le petit nombre des