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LA QUESTION OUVRIÈRE.

membres des unions, leur perpétuel contact, favorisent l’intimidation et la corruption même. Sans cesse sous les yeux des fonctionnaires qui émanent nominalement de leur choix, les affiliés sont soumis à une surveillance d’Argus qui pas un instant ne les abandonne. Ils ont toujours besoin du concours de leurs chefs pour se procurer de l’ouvrage quand ils en manquent, pour obtenir des secours en cas de maladie, d’accident ou de chômage forcé ; contre les décisions de la junte directrice, ils n’ont d’ailleurs aucun recours. Il n’est pas besoin d’être grand prince pour se livrer au favoritisme ou à l’arbitraire. Tout chef d’une petite union anglaise a ses moyens de récompense et de punition, par conséquent aussi ses courtisans et ses esclaves. Quelle est dans ces infimes sociétés démocratiques l’inégalité des charges et de l’autorité entre des fonctionnaires égaux par l’origine de leur mandat ? Une intéressante déposition de l’enquête vient nous l’apprendre. L’on demandait à un ouvrier qui avait siégé pendant seize semaines dans le comité d’une union quelles étaient les fonctions des membres de ce comité. Le témoin répondit qu’il ne le savait pas. — Mais vous-même que faisiez-vous ? — J’étais assis en silence, et je sirotais de l’ale. — Et les autres, que faisaient-ils ? — Beaucoup sirotaient aussi leur ale. — Dans la réunion sur laquelle le témoin était interrogé, il avait, disait-il, signé un papier rédigé par le secrétaire, mais il ne l’avait pas lu, ni entendu lire, et il en ignorait le contenu. — Mais les membres du comité n’ont-ils donc rien autre chose à faire que de siroter de la bière ? — Le témoin ne le pouvait dire. Pendant les seize semaines qu’il avait siégé, il n’avait rien découvert à cet égard. Comment en serait-il autrement ? Ces petites républiques ont, elles aussi, leurs candidats officiels que l’on paie en pots de bière et dont on n’exige que des signatures, instrumens passifs qui se sont engagés d’avance à ratifier toutes les décisions ou tous les comptes qu’ils sont supposés contrôler. Il serait intéressant de tracer la physionomie des fonctionnaires de ces trade’s unions locales. En nous abandonnant à notre inspiration propre, nous craindrions de faire un portrait de fantaisie qui touchât à la caricature ; laissons ce soin à l’apologiste habituel des associations ouvrières anglaises, M. Thornton, qui s’acquittera de cette tâche en maître. « Vrais démagogues, dit-il, tapageurs, avides, all tongue and stomach (toute langue et tout estomac), ils arrivent à une fonction à force de déclamation et d’hypocrisie, et ne la convoitent que pour les rations de pain et de poisson, de bière et de grog qu’elle rapporte, le petit relief qu’elle donne, la paresse qu’elle autorise, et les facilités qu’elle offre pour commettre des détournemens et des malversations. Des appâts de ce genre dans les unions ne font pas faute aux ambitions