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de bas étage. » La vérité de ces paroles est confirmée par les faits les mieux établis ; ce n’est pas seulement la présence d’un Brodhead à la tête de la corporation des remouleurs de scies de Sheffield, c’est tout un ensemble de circonstances analogues que l’on ne peut prétendre accidentelles ou transitoires. N’a-t-on pas vu quelques-unes de ces petites associations maintenir en fonction des hommes convaincus d’avoir provoqué des crimes et stipendié des assassins ? Tous les chefs ne sont pas sans doute aussi profondément dépravés, mais la plupart n’offrent aucune garantie sérieuse de caractère et d’esprit de conduite. « Ces hommes, dit encore M. Thornton, n’ont pas été assurément investis de leurs fonctions sans égard pour les aptitudes qu’elles exigent ; mais ils les doivent aussi en grande partie à d’autres recommandations, parmi lesquelles figure principalement leur qualité de bons convives. Il est peut-être indispensable qu’ils possèdent une instruction suffisante pour rédiger passablement un rapport ou un flamboyant manifeste ; mais, s’ils ont la réputation d’être de joyeux compagnons, d’une gaîté discrète entre deux vins, sachant chanter une chanson égrillarde et raconter un bon conte, cela ajoute énormément au crédit qu’ils inspirent. » Nous n’aurions pas cru nos voisins aussi accessibles à ces charmes extérieurs et à ces grâces superficielles que notre sociabilité fait apprécier à la population française. Telle est la constitution de ces unions locales, et voilà leurs chefs ; pour qu’on les juge en toute connaissance de cause, il nous reste à montrer quelles sont leurs œuvres ; c’est ce que nous examinerons plus loin.

Plus régulières et plus imposantes dans leurs allures, plus respectables aussi, pour employer une heureuse expression anglaise, sont les trade’s unions qui s’étendent à toute une province ou à tout un district. Le despotisme des chefs y est plus dissimulé sous les apparences ; il s’y fait jour d’une manière moins brutale et y laisse une place plus grande soit à la discussion, soit même parfois à la résistance. Ces unions provinciales sont naturellement divisées en plusieurs branches appelées loges, que domine un comité central et exécutif ; mais ce ne sont pas les institutions représentatives qui fonctionnent dans ces associations et les régissent. L’ouvrier a toujours une prédilection pour le gouvernement direct, croyant y trouver plus de garanties. Toutes les importantes questions de « politique pratique, » — ce mot pompeux est une métaphore pour désigner les grèves, — sont systématiquement remises au suffrage universel. L’un des commissaires de l’enquête, M. Harrisson, nous a décrit le procédé qui met cette machine en mouvement. Des bulletins de vote sont envoyés à tous les membres de la société. Plusieurs fois de suite les mesures à prendre sont examinées dans chaque loge