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LA QUESTION OUVRIÈRE.

en fait à un conseil exécutif qui comprend les 6 membres métropolitains et 1 président élu par les loges de Londres. Ce conseil exécutif a des attributions très nettement délimitées en théorie, mais presque infinies en pratique. Il exerce sur les différentes loges un droit de contrôle et de tutelle ; il surveille spécialement leurs finances, juge les appels formés contre leurs décisions, autorise l’établissement de nouvelles loges, décrète, sanctionne et clôt les grèves. Il n’a d’ailleurs pas le pouvoir constituant, qui n’appartient qu’à la société tout entière. Les décisions du conseil exécutif ne sont pas sans appel ; si une loge se prononce contre à la majorité des deux tiers des voix, l’on doit recourir à un plébiscite. Le suffrage universel décide ainsi en dernier ressort, et casse ou modifie les résolutions des fonctionnaires élus. On voit combien de précautions ont été prises pour que les autorités unionistes ne soient que les humbles exécuteurs de la volonté populaire. Vanité des constitutions écrites, quand elles sont en opposition avec les mœurs et les situations sociales ! Ces mandataires entourés de tant de lisières théoriques ont dans la pratique les allures les plus indépendantes. Rééligibles tous les six mois, ils sont perpétuellement réélus ; ils se maintiennent de longues années en charge, et sont bientôt considérés comme des hommes nécessaires. Ils respectent la lettre des statuts et en violent l’esprit. Ils jouissent de l’avantage immense de l’initiative, prennent leur temps pour poser les questions, rédigent les formules et ont toujours gain de cause. C’est une illusion de s’imaginer qu’on peut fonder une liberté réelle et un contrôle efficace dans une société où tout est poussière, où le niveau implacable d’une égalité géométrique n’a laissé subsister que des molécules éparses, sans cohésion ni résistance. La diversité des conditions et des influences sociales, c’est une pièce nécessaire au mécanisme des institutions libérales, c’en est même le moteur essentiel. Dans ces vastes associations d’individus que l’on appelle les unions nationales, il n’y a pas un homme qui ait une personnalité assez forte, un crédit assez universel, une situation assez affermie, pour se dresser contre les fonctionnaires élus et former un noyau d’opposition. D’autres circonstances, qui tiennent au but même de l’unionisme, tendent à y développer la concentration des pouvoirs et à empêcher le contrôle. Les unions sont des corps militans ; à proprement parler, ce sont des régimens, une armée toujours en présence de l’ennemi. Dans cette lutte acharnée et sans trêve que le travail a entreprise contre le capital, la nécessité de la discipline est reconnue par tous. La soumission aux ordres des chefs est la première qualité requise. Ce n’est pas à l’heure de la lutte, c’est après le triomphe