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sortie du massif montagneux où nous la retrouvons encore à peu près dans son état primitif[1] avait rayonné en tous sens et poussé comme un large éventail ses tribus européennes ou asiatiques de l’Indus et du Gange à la mer Baltique, du Bolor jusqu’aux extrémités de l’archipel britannique. Or, en arrivant en Europe et en pénétrant jusqu’aux extrémités du continent, ces enfans de l’Asie ne trouvèrent pas une terre inoccupée. D’autres races les avaient précédés. C’est chez celles-ci qu’il faut chercher nos ancêtres les plus reculés. Parmi elles, il en est qui, contemporaines des éléphans et des rhinocéros européens, remontent au-delà des derniers grands événemens géologiques dont notre globe fut le théâtre. D’autres ont vécu dans nos environs avec le renne, avec le bœuf musqué et diverses espèces animales toutes refoulées aujourd’hui dans des régions glacées. D’autres enfin, plus modernes sans nul doute, n’ont pris possession du sol que depuis les derniers bouleversemens physiques.

L’histoire est également muette sur toutes ces populations antiques, dont l’existence est pourtant attestée par des ossemens, par des objets fabriqués de main d’homme, et même par de véritables monumens. Quelques-uns de ces derniers avaient seuls attiré l’attention des antiquaires, et encore les plus importans peut-être étaient-ils restés inconnus ou négligés jusqu’au moment où l’initiative des savans scandinaves vint stimuler l’esprit de recherches et montrer l’importance de faits dont la signification n’avait pas été jusque-là comprise. En fouillant des marais tourbeux et des tas de coquilles abandonnées, Thomsen, Nilsson, Forshammer, Steenstrup, Worsaae et leurs disciples en avaient retiré une foule d’objets qui, réunis et groupés méthodiquement, jetaient sur le plus obscur passé de ces régions un jour tout à fait inattendu. Ces savans avaient fondé l’archéologie préhistorique. Après quelques hésitations, on se résolut à marcher sur leurs traces. M. Boucher de Perthes, en créant l’archéologie paléontologique, vint donner à ce mouvement une impulsion décisive. Bientôt, en Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne et jusqu’en Espagne et en Portugal, les découvertes se succédèrent. La nouvelle science grandit avec la rapidité qui caractérise le développement intellectuel de notre siècle. Dès à présent, on peut dire qu’elle est prête à se constituer, embrassant d’un côté le commencement de nos temps historiques proprement dits, de l’autre les âges paléontologiques de l’homme européen et tous les temps intermédiaires.

  1. Guidé par diverses considérations, j’avais depuis longtemps signalé dans mes cours les Mamoges comme représentant le tronc âryen dans son état primitif. Les dernières études faites sur les lieux par M. Lejean ont entièrement confirmé cette manière d’apprécier les faits. Ce sont évidemment les Mamoges, et non pas une prétendue colonie macédonienne, qui ont donné aux montagnards du Cachemire les traits européens.