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illuminée du haut en bas comme aux plus grands jours de fête. Nous entrâmes aux sons de l’orgue jouant un air triomphal, et, tout en admirant cette église fort curieuse au point de vue de l’art, plus d’un sans doute s’oublia dans les graves pensées que l’heure, le lieu et la mise en scène étaient bien faits pour inspirer. Ainsi finit cette journée, une de celles dont on garde précieusement le souvenir comme des mieux remplies et des plus heureuses.

Deux fois encore le congrès quittait Copenhague pour des excursions analogues. Il s’agissait tantôt de visiter de vieux châteaux, tantôt de comparer les tumuli et les dolmens du Danemark à ceux de notre Bretagne, ou de visiter quelque lieu célèbre dans les traditions du pays. Nous avons ainsi revu Rœskilde de jour, et salué chez lui, au grand détriment de sa cave, notre brave capitaine Wilde; nous avons traversé de nouveaux villages, visité d’autres villes, parcouru le magnifique parc du comte de Holstein, attenant à la vallée et au lac légendaires de Herthadal[1]. Partout, toujours, nous avons été reçus de même. Les paysans ont hissé leurs modestes drapeaux, les citadins ont pavoisé leurs rues et les salles de banquets; le grand seigneur a élevé des arcs de triomphe et offert à ses hôtes de passage une hospitalité qui, pour être de courte durée, n’en était que plus splendide. Dans le sentiment qui éclatait ainsi à tous les degrés de l’échelle sociale, il y avait quelque chose de plus que l’amour des études préhistoriques. Ce quelque chose, à demi instinctif dans les classes inférieures, parfaitement raisonné chez les gens éclairés, est facile à comprendre, et l’on n’a d’ailleurs pas cherché à le cacher.

De tout temps, les Danois ont aimé profondément leur patrie. Ils la chérissent peut-être plus encore depuis ses revers. Notre petit pays, notre cher petit pays, disent-ils presque toujours en parlant d’elle, et la voix la plus rude trouve des inflexions caressantes pour prononcer ces mots, qui, dans la bouche des femmes, prennent quelque chose de touchant. On dirait qu’elles parlent d’un enfant adoré. Notre venue flattait ce noble sentiment dans ce qu’il a de plus délicat. On sait comment dans la guerre soutenue contre l’Allemagne et l’Autriche, comment dans les négociations qu’a soulevées le traité de Prague, le Danemark a été abandonné par les états les plus directement intéressés à sa conservation. Au silence trop général qui accueillait leurs justes plaintes, les Danois ont pu se croire oubliés du monde. Ils ont tressailli d’aise en apprenant que l’Europe intel-

  1. Cette vallée était, dit-on, le principal sanctuaire de Hertha, qui personnifiait la Terre. Le petit lac aux bords duquel nous avons déjeuné recevait, assure-t-on encore, la plupart des offrandes offertes à la déesse, et devrait, à ce titre, receler dans son fond tourbeux bien des trésors archéologiques.