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part de vie. Là est le châtiment, et Pauline devait en faire la rude épreuve. Pour le moment, elle est jeune encore et dans toute la fleur de sa beauté ; la naïveté de sa coquetterie mettait tout le monde à ses pieds. Très éloignée de la haute sentimentalité de ses sœurs allemandes, elle était femme dans le plus beau comme aussi dans le moins noble sens du mot. Elle n’avait rien appris. L’incorrection et l’orthographe fantaisiste de ses lettres françaises ne sont pas plus choquantes que celles de son allemand. Elle savait dissimuler aussi effrontément que la Jacqueline de Musset ; elle ne pouvait pas mentir. Le caprice était son maître absolu. Une bonté inépuisable accompagnait son naïf égoïsme. Beaucoup d’esprit, une parole colorée sans trace de cynisme, une grâce unique, relevaient encore la beauté triomphante de sa personne. « Les gens naturels comme Pauline, écrit-elle dans son journal, ne savent ni rire d’un mauvais conte, ni s’attendrir sur l’affectation de sensibilité, ni prêter une oreille complaisante aux ennuyeux. Il est étonnant qu’on puisse les supporter dans la société. Cependant au fond on les aime ; du moins ils attirent, eux seuls savent plaire. » Ce fut là en effet le secret de sa magie.

En 1800, à l’âge de vingt-trois ans, Pauline se maria avec le conseiller de guerre Wiesel, plus original encore qu’elle-même peut-être. C’était le plus spirituel des sceptiques, une sorte de Méphistophélès de bonne humeur, donnant et exigeant une liberté absolue. Henriette Mendelssohn le comparait à Guillaume de Humboldt, et on ne saurait mieux trouver : c’était, à quelques degrés plus bas de l’échelle sociale et de l’échelle intellectuelle, le même genre de nature froide, quoique avide de jouissances, et où l’intelligence domine tout le reste. Il va sans dire que la haute culture et la profondeur philosophique de l’homme d’état et du linguiste faisaient défaut au modeste conseiller qui avait su se faire aimer un moment par la jolie Pauline. À peine marié, il s’appliqua, de propos délibéré, à détruire toute illusion romanesque chez sa jeune femme et à lui faire bien comprendre la haute sagesse qui consiste à voir de bonne heure que tout est comédie en ce monde, que la morale n’est qu’une chose relative ou une duperie inventée par les heureux de la terre, que l’égoïsme est le seul mobile, le plaisir le seul but de la vie. Pauline ne fut point rebelle à ces leçons, qui répondaient à ses secrets instincts. Du reste, au milieu de ses fanfaronnades d’incrédulité et de cynisme, cet homme d’esprit était excellent. « Sa grosse peau ne m’a jamais trompée sur son compte, écrivait Rahel à son frère lors de la mort du sceptique. Elle ne m’a point empêchée de voir en lui un bon enfant comme tant d’autres. Son soi-disant athéisme m’a toujours paru un enfantillage inventé pour braver d’autres enfantillages… Il m’a fait sourire jusque dans ses derniers jours en