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Anglais, de la Parcheminerie, la Cité Doré, ont recueilli les épaves du naufrage. Aujourd’hui ces insupportables mendians sont disséminés dans des garnis obscurs, et n’ont pu trouver à reconstruire l’espèce de forteresse où ils vivaient en groupes, dans un pêle-mêle singulièrement favorable aux méfaits combinés.

De tout temps, on avait essayé d’en purger la ville, pour laquelle ils étaient un danger permanent ; par la violence des mesures, on peut juger de la gravité du péril. Un édit de 1524 condamnant les mendians au fouet et au bannissement n’eut pas grande influence sans doute, car en 1525 on leur enjoint de quitter Paris sous peine d’être pendus ; en 1532, le parlement ordonne que, enchaînés deux à deux, ils seront employés à curer les égouts, qui, à cette époque et pour la plupart, étaient à ciel ouvert ; en 1561, une ordonnance de Charles IX édicté contre eux la peine des galères, galères perpétuelles, car en ce temps, lorsqu’on avait été rivé aux bancs de la chiourme, on ne les quittait jamais ; en 1554, en 1607, on établit aux portes de Paris un poste spécial d’archers chargés d’en interdire l’entrée aux mendians qui se présentent. Le mal est général, il envahit la France ; les provinces ont recours aux moyens les plus étranges pour se débarrasser de cette « teigne. » À Grenoble, la municipalité institue un fonctionnaire dont l’unique mission est de parcourir les rues de la ville et de renvoyer les mendians ; on le nomme le chasse-gueux, le chasse-coquins[1]. En 1606, un arrêt du parlement de Paris, en date du 18 janvier, décide qu’ils seront fouettés en place publique par les valets du bourreau ; de plus on leur met une marque particulière sur l’épaule, et en vertu d’une ordonnance de 1602 on leur rase la tête.

Nous touchons enfin au moment où les dispositions coercitives des ordonnances vont faire place à des mesures préventives dans lesquelles l’humanité aura sa part. Le premier qui semble s’être préoccupé du sort des mendians et de les utiliser en leur imposant un travail rémunéré est Jean Douet de Romp-Croissant, très étrange personnage qui représente le type de ce qu’on appelait alors un homme à projets. Il ne lui en coûte pas d’en faire ; lui aussi, il eût, sans trop de peine, pu fournir une idée par jour. Il publia par livraisons, « par cayers, » une série de mémoires adressés à la reine-régente et intitulés la France guerrière[2]. En parcourant ce fatras

  1. On eut souvent recours à cette singulière mesure, car on la trouve mentionnée dans le registre des délibérations de la municipalité de Grenoble le 20 mai 1532, le 6 avril 1587, le 1er février 1599, le 1er juillet 1662, le 24 juin et le 31 juillet 1611. — Recherches sur le paupérisme en France au seizième siècle, Berriat Saint-Prix, 1843. « Mémoires de l’Académie des Sciences morales et politiques, t. IV.
  2. Paris, de l’imprimerie de Mathurin et Jean Henault, petit in-4o, 1644.