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est vrai que les Pompéiens, presque tous gens de négoce, pouvaient ne soumettre leurs enfans à cette éducation multiple que pour les besoins du commerce. Chez les modernes, ce sont également les nations ou les familles les plus commerçantes qui acquièrent le plus volontiers la connaissance de langues variées pour faciliter et multiplier leurs relations ; mais ce qui prouve que le fond osque dominait et que l’influence grecque n’avait jamais été bien puissante[1], c’est qu’on ne trouve à Pompéi ni une monnaie, ni un vase peint. Ces belles monnaies que la plus petite cité grecque faisait graver avec un soin scrupuleux par d’habiles artistes n’ont jamais tenté les riches Pompéiens. Ces vases élégans où le pinceau traçait les compositions les plus poétiques ou les plus gracieuses, ils n’en ont ni acheté ni conservé un seul. Qui donc disait que les vases peints et les médailles étaient le signe caractéristique de toute cité qui avait appartenu à la race grecque ? Si c’était chose grecque que de graver des monnaies ou de peindre des vases, c’était chose romaine que de rédiger des inscriptions, pages officielles dignes de l’histoire, consignées sur le bronze et sur le marbre pour durer toujours. Les inscriptions monumentales de Pompéi et d’Herculanum, qui devraient être sans nombre, lutteraient à peine avec les inscriptions d’un petit municipe romain de la Gaule ou d’une colonie militaire de l’Afrique.

En échange, on trouve à Pompéi deux théâtres, dont l’un était couvert, un amphithéâtre qui pouvait contenir les habitans de la ville et ceux des villes voisines, une caserne de gladiateurs, un grand nombre de boutiques de boissons chaudes, que l’on peut regarder comme l’équivalent de nos cafés modernes, des maisons de prostitution, que leur plan et les peintures qui les décorent ne permettent point de méconnaître. Les inscriptions familières et les dessins grossiers tracés par la main des passans sur les murs attestent fréquemment la passion du public pour les jeux sanglans et les troupes (familiœ) de gladiateurs campaniens ; en cela, on était bien devenu romain. En un mot, tout prouve que les Campaniens cherchaient dans les arts des jouissances, dans la littérature dramatique des émotions ou le rire, mais qu’après le commerce le plaisir était leur occupation principale. Les délices de Capoue faisaient proverbe dès le temps d’Annibal. Le goût des Campaniens pour les spectacles était tellement connu que Néron venait faire à Naples ses débuts et chercher les applaudissemens de spectateurs qu’il savait plus compétens que ceux de Rome. On ne doit, par conséquent, comparer une petite ville commerçante comme Pompéi ni à Pise, ni à Gênes, ni à Venise, qui ont eu à la fois la puissance et

  1. Les Pompéiens, vers le VIIe ou le VIe siècle avant notre ère, avaient appelé un architecte grec de Cumes ou de Posidiana (Pæstum) pour bâtir le temple dont on voit les ruines dans le forum triangulaire.