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SIMIDSO SEDJI.

du gousset ; dans le silence qui se faisait autour de nous, j’entendis distinctement qu’elle marchait encore. À dix pas des corps, on avait attaché une paire de chevaux aux longues branches de l’arbre qui se trouve au coude du chemin. Ils étaient harnachés à l’européenne ; selles et brides portaient des traces de sang.

Un bruit de chevaux approchant à toute vitesse nous fit tourner la tête : c’étaient deux cavaliers, qui s’arrêtèrent comme nous à une certaine distance des cadavres et sautèrent à terre ; je reconnus en eux M. Stearns, Américain, et le nègre George, le loueur de chevaux de la colonie, « Qui est-ce ? » demanda Stearns en s’approchant. Nous ne pûmes donner de réponse. Stearns se pencha sur les cadavres, les examina un instant. « C’est le commandant Baldwin, dit-il, et, se retournant vers l’autre corps, c’est le lieutenant Bird, Poor fellows ! n’Et alors seulement je reconnus dans ces corps inanimés et mutilés les deux hommes que j’avais rencontrés peu de jours auparavant pleins de vie et de jeunesse.

Bientôt après un membre de la légation anglaise arriva, escorté de la garde à cheval du ministre. On se mit alors à examiner soigneusement ! es lieux où le double meurtre devait avoir été commis ; mais les témoins muets du forfait ne révélèrent rien à nos yeux inexpérimentés : par-ci, par-là, près du puits surtout et à l’entrée du sentier qui conduit à la mer, on découvrait des taches de sang. C’était tout. Les habitans des maisons voisines avaient pris la fuite ; pour le moment, il n’y avait plus rien à apprendre à Kamakoura. Les soldats qui avaient accompagné l’officier anglais avaient disposé deux brancards ; on y coucha les cadavres et on les porta ainsi jusqu’au rivage de la mer, où ils furent placés à bord d’une barque de pêcheur qui les transporta à Yokohama.


III.

La nouvelle de l’assassinat de Baldwin et de Bird souleva tout Yokohama d’indignation. Les deux malheureux n’étaient point les premières victimes du fanatisme japonais : Heusken, Voss, Decker, Lenox Richardson, beaucoup d’autres encore, étaient tombés dans les mêmes embûches ; mais ce dernier meurtre paraissait le comble de la haine, puisqu’il était impossible de trouver une circonstance quelconque qui pût en atténuer l’horreur. Baldwin et Bird venaient de débarquer, ils ne parlaient pas le japonais, ils n’auraient pu, même le voulussent-ils, provoquer ou insulter un indigène ; dans le régiment dont ils faisaient partie, ils jouissaient de l’estime générale comme gens sérieux, calmes et bons. Il n’était pas non plus