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SIMIDSO SEDJI.

c’était une histoire inventée pour leur faire évacuer la maison de thé, où les étrangers ne sont pas toujours bien vus, parce que leur présence en tient éloignés les Japonais de distinction. Ils avaient questionné le betto, et comme celui-ci n’avait pu donner que de vagues renseignemens recueillis de la bouche d’un autre betto, qui prétendait arriver de Kamakoura, ils avaient traité son histoire de fable et s’étaient tranquillement rendormis pour ne se remettre en route que le lendemain, à l’heure convenue d’avance.

Un garçon de treize ans, le fils d’un journalier japonais, était le principal témoin. Il racontait que son père, dont la cabane était placée à une centaine de pas de l’endroit où l’on avait trouvé les cadavres, l’avait envoyé, le jour du meurtre, chercher de l’huile chez un marchand dont la maison est située dans la plaine de Daïbonts, à 1 kilomètre environ de la grande allée de Kamakoura. Chemin faisant, il avait rencontré deux officiers japonais, un grand et un petit, dont le premier lui avait demandé quelle distance il y avait du puits à la mer et du même point à Kamakoura. L’enfant avait donné le renseignement demandé, et avait continué sa route. En revenant, il avait revu les mêmes hommes. Ils étaient alors assis sur le banc, au pied du dernier arbre de l’allée ; ils avaient les larges manches de leurs robes retroussées comme les Japonais ont l’habitude de le faire lorsqu’ils vont se battre, courir, ou se livrer à un exercice violent. Le grand l’avait apostrophé furieusement, lui criant de s’éloigner au plus vite. L’enfant s’était gardé de désobéir ; mais, curieux de voir ce qui allait se passer, il avait pris la chemin qui conduit à la mer, avait passé par-dessus les remparts qui l’encaissent, et s’était caché derrière les arbres et les buissons qui forment en cet endroit un épais fourré. Le plus petit des officiers s’était, au bout de quelques instans, avancé au milieu du carrefour et avait regardé de tous côtés, puis, comme s’il avait aperçu ce qu’il cherchait au loin, il avait rejoint son camarade, et, tout en courant, il avait tiré son sabre ; l’autre officier en avait fait autant.

L’enfant, en suivant la direction du regard de ces hommes, avait alors aperçu deux cavaliers venant de Daïbouts, par le sentier et s’acheminant avec lenteur, l’un derrière l’autre, vers l’arbre d’où on les guettait. D’après la description que l’enfant fit des cavaliers, Baldwin marchait en tête, Bird le suivait à dix ou douze pas de distance.

Au moment où le cheval de Baldwin avait dépassé l’arbre, les officiers s’étaient rués sur lui à grands coups de sabre ; le cheval avait fait un bond de côté, et l’homme qui le montait était tombé par terre. Les officiers l’avaient laissé là et s’étaient précipités sur Bird, dont le cheval venait au même moment de dépasser l’arbre qui lui